Accueil | Newsletter | Lettre Défense et Diplomatie n°10 (Juin)

Lettre Défense et Diplomatie n°10 (Juin)

par | 9 juillet 2021 | Newsletter

Editorial :   petites trahisons européennes

La trahison est-elle la seconde nature de l’Union Européenne ? C’est ce qui ressort de l’actualité Affaires étrangères et Défense du mois qui vient de s’écouler.

A tout seigneur, tout honneur : l’Allemagne. Consacrée partenaire stratégique par la France au point de lui confier les clés de son aviation de combat et la colonne vertébrale de son armée de Terre, voire la propulsion de ses lanceurs Ariane, l’Allemagne aura passé son mois de juin à trahir l’esprit des déclarations du 13 juillet 2017 et le Traité d’Aix la Chapelle de 2019, comme si sa nature profonde avait voulu saboter les fondements de la coopération avec la France.

Le BAAiNBW (voir infra, notre dossier) aura d’abord tiré à boulets rouges sur la France en considérant le futur avion de combat (NGF) à la fois peu innovant et trop français, un comble pour cet organisme dont la conduite des programmes est l’une des plus désastreuses de toute l’UE.

Puis un autre rapport plus politique, censé adoucir les conclusions, a enfoncé le clou en estimant que les risques pris pour aboutir à un accord à tout prix sont immenses et dangereux   et qu’à tout prendre l’Allemagne développera un Rafale amélioré et non l’avion disruptif dont Berlin a besoin.

Enfin, les députés de la Commission du Budget du Bundestag ont achevé cette séquence le 23 juin en privilégiant les intérêts allemands au détriment des coopérations avec la France : l’avion de patrouille maritime commun (MAWS) passe à la trappe au profit de 5 avions américains (P-8) dont le côté intérimaire ne trompe personne ; la modernisation du Tigre Mk-III est oubliée pour vraisemblablement suivre un scénario à l’australienne (fin de la flotte et achat d’Apache américains) ; le futur avion d’armes qui fait figure de survivant est lui-même encadré de conditions sévères : financement à regret de la phase 1B (développement du démonstrateur), possible démonstrateur en Allemagne (satisfaisant la revendication des syndicats d’Airbus Defence & Space), ce qui amoindrira la position de la France comme leader du projet (imagine-t-on Paris demander la même chose sur le char de combat ?), réaffirmation de l’utilisation des droits de propriété intellectuelle acquis sur le programme d’avion pour d’autres projets, confirmation explicite d’une posture prédatrice de pillage technologique de l’Allemagne.

Ces trahisons en série ne devraient pas surprendre : le spatial avait déjà donné à Berlin l’occasion de trahir l’accord de Schwerin avec Paris en développant ses propres satellites d’observation optique au mépris des échanges bilatéraux franco-allemands (échange d’images optiques Helios et radars SAR-Lupe).

Plus discret mais tout aussi décevant : l’Italie. Pays extrêmement dynamique à la géopolitique bien affirmée, l’Italie aura également intrigué pour saboter les positions françaises sur la Grèce en appelant à une réunion à Rome, à la mi-juin, de ses alliés turc et britannique pour coordonner leurs politiques de défense en Méditerranée. Elle trahit ainsi doublement la Grèce comme membre de l’Union européenne et de l’OTAN, et au passage la France, soutien bien isolé de la solidarité européenne et atlantique. Depuis 2014, date de la fameuse Loi Navale, l’Italie se donne les moyens diplomatique, militaire et industriel de reconquérir sa place en Méditerranée, au détriment de la France, politique assumée où elle trouve des alliés : au Qatar, en Turquie, au Royaume-Uni, en Libye… La diplomatie déblaie le terrain (Libye) ou son chantier naval public – Fincantieri – le fait à sa place (Qatar, Egypte et demain Libye, Arabie, voire Grèce ?). Plastique dans ses alliances, pragmatique quant aux moyens, Rome n’hésite pas à trahir la confiance de Paris dans le Golfe de Guinée, où les informations de la Marine française qui lui sont transmises dans le cadre de la mission européenne, sont utilisés par elle auprès des marines régionales en en cachant la source…

L’Espagne, la Norvège et l’Allemagne  (encore) viennent enfin, par la voix de leurs ministres des Affaires étrangères, de publier une tribune dans le Rheinische Post du 5 juillet demandant une réduction des arsenaux nucléaires dans le monde, portant ainsi un mauvais coup à la force de frappe française, déjà fortement réduite ces dernières années et dont la doctrine repose sur la stricte suffisance et la défensive (voir télégramme n°1). Cet appel de trois ministres des Affaires étrangères, dont deux – l’Allemand et l’Espagnol sont soi-disant des alliés de la France en Europe – vise en réalité à militer en faveur du Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) désormais en vigueur. Ce traité radical ne règle rien puisqu’aucune puissance nucléaire ne le signera ; pire, il se trompe de cible qui demeure la prolifération des technologies (pour l’arme et ses vecteurs) et contribue à déstabiliser le Traité de Non-Prolifération (TNP) qui lui assure un quasi statu-quo. Le dialogue stratégique proposé de manière inutile par le Président Macron le 7 février 2020 dans son discours à l’Ecole de Guerre n’aura visiblement suffi à rien, si ce n’est à ouvrir une porte menant à la remise en cause de l’arsenal français par ses prétendus alliés européens. Seul le Royaume-Uni, heureusement exclu de ces débats européens stériles par son Brexit est à l’abri, il a annoncé au contraire une augmentation de son stock de têtes nucléaires de 40% !

Enfin, dernière trahison en date : les nouvelles règles de gouvernance des entreprises dites « ESG « (Environmental, Social and Governance). Le déploiement de cette démarche va s’accélérer avec l’adoption prochaine d’une directive européenne (Corporate Sustainability Reporting Directive) promouvant la mise en œuvre généralisée de ces règles. Les banques considèrent souvent que l’armement est en soi incompatible avec les règles ESG. Si la France et l’Union européenne s’alignaient in fine sur la position des ONG, l’industrie de défense serait menacée à terme faute de capacité de financement, en dépit de son rôle pour la mise en œuvre de la souveraineté nationale et européenne. C’est ainsi que la Commission, loin d’être dans son rôle, outrepasse de nouveau ses pouvoirs par usurpation et annexion de domaines qui n’ont jamais été les siens. Alors que l’Europe prétend financer l’autonomie stratégique européenne par le biais du fonds européen de défense, elle œuvre à sa destruction par cette directive l’industrie de défense qui seule peut lui apporter la dite autonomie. La schizophrénie du « en même temps » du Président Macron s’étend à l’Europe avec les mêmes résultats : la déconstruction d’une industrie nécessaire à la souveraineté des nations au seul profit de ses concurrents extra-européens…Déjà, cette entreprise de déconstruction était à l’œuvre avec la volonté de la CJUE de vouloir appliquer aux militaires la législation sur le temps de travail…La voilà à l’œuvre dans ce domaine stratégique pour assurer sécurité et prospérité, l’industrie de défense.

Et la France ? Avec Emmanuel macron, altruiste comme toujours, elle regarde sans réagir les trahisons de son partenaire allemand et de ses « sœurs méditerranéennes » qui n’ont pas, eux, ses scrupules. Première puissance militaire d’Europe, Paris se laisse dépouiller de ses atouts sur l’autel de la coopération européenne à tout prix, en ne résistant à aucune entreprise des autorités européennes de déconstruction de son appareil de défense (inertie face à la menace de l’application du temps de travail aux militaires et celle de la directive européenne sur les critères ESG).

Il sera grand temps en avril 2022 de mettre fin à cette déconstruction obstinée de la place diplomatique et industrielle de la France par son propre Président et de réarmer la France. C’est tout l’enjeu des élections présidentielles à venir.