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par | 18 mars 2021 | Newsletter

N°1 – France – Allemagne : les raisons de la discorde

Le dernier conseil franco-allemand de défense, le 5 février dernier, a été l’occasion de vérifier une fois encore ce que notre groupe ne cesse de dire depuis des années : l’Allemagne n’est pas le bon partenaire.

  • Sur le fond, les divergences diplomatiques entraînent nécessairement des divorces dans la politique de défense et la coopération dans l’armement. L’exemple du programme de modernisation de l’hélicoptère Tigre l’illustre : alors que la France en a un besoin urgent (besoin reconnu par la Chancelière), l’Allemagne qui ne dispose que de la version anti-char (et non de la version française dite « appui-protection ») ne se sert guère de ses hélicoptères faute de missions extérieures où les employer : elle n’a donc aucune envie de les moderniser. Or, la France, elle en a un besoin vital puisqu’à Barkhane, elle les utilise dans la plénitude de ses capacités. Lors du conseil du 5 février, bien que la Chancelière ait reconnu ce fait, le ministère de la Défense ‘na pas l’intention de satisfaire la partie française. On le voit également à travers le débat sur les exportations : la géopolitique allemande n’est pas celle de la France : le divorce qui s’en suit sur les plans militaire et industriel n’est que logique et on s’étonne d’ailleurs qu’il puisse encore étonner…

 

  • Sur la forme, l’Allemagne joue la manière forte, et là aussi, ce n’est pas nouveau. De la constitution d’EADS (où DASA ne pesait, aux dires mêmes de ses négociateurs que 30% face à l’ensemble Aérospatiale-Matra et a fini avec la parité absolue après avoir fait croire en une alliance de revers avec British Aerospace au sein d’Airbus), à celle de KNDS, la partie allemande a récupéré par la négociation ce qu’elle n’avait pas par capital de départ : dans l’aéronautique civile, puis le terrestre (Nexter a un niveau technologique supérieur à Krauss Maffei Wegmann comme les programmes Caesar dans l’artillerie et Scorpion dans le combat info-centré nouvelle génération l’a amplement démontré), elle a ainsi mis la main sur des sociétés peut-être mal gérées par l’État et les PDG qu’il y avait mis, mais dotées d’un capital technologique et industriel remarquable qui a été bradé par le même Etat incompétent..

Rien d’étonnant donc que le conseil de défense, s’inscrivant dans cette tradition, ait entériné le coup de force allemand : en substance, la Chancelière n’a dit mot sur le programme géré par l’Allemagne (le char de combat du futur ou Main Ground Combat System, MGCS), mais a demandé (exigé en fait) la réouverture des partages sur l’avion de combat, censé être sous leadership français, selon le principe que ce qui est à moi n’est pas négociable, ce qui est à vous, est partageable. Alors que 58% des leadshares (parts du programme en tant que leader) et 65% des workshares (parts du programme comme partenaire) du futur système d’aviation de combat, sont dévolus à Airbus, Berlin exige que la France fasse un nouvel effort, c’est-à-dire un nouvel abandon technologique et industriel.

L’intégration de parties tierces ou de nouvelles exigences sert ses intérêts tout en déstabilisant les accords initiaux :

  • L’arrivée de Rheinmetall dans le MGCS, puissamment épaulée par le Bundestag, a permis diminuer la part française (passant de la parité avec KMW à un tiers) ;
  • L’arrivée des Espagnols (Indra sistemas, Airbus Espagne et le motoriste ITP) dans le programme d’avion de combat, a permis de diminuer la part de la partie française (Dassault, Thales et Safran).
  • Enfin, l’exigence d’un démonstrateur à construire en Allemagne (Manching, Bavière chez Airbus Défense Allemagne) montre bien que le vrai but allemand est de récupérer des compétences et non de faire une véritable coopération avec la France.

Au bilan, la part française sur ces deux programmes n’est plus paritaire mais minoritaire quoique puisse en dise l’Elysée ou la Chancellerie et aucun de ces coups de force successifs n’a fait l’objet d’un refus ferme largement justifié par la remise en cause des accords initiaux.

La conclusion s’impose : l’Allemagne n’est pas le bon partenaire de la France pour la diplomatie et la défense. Indépendamment de la divergence sur les objectifs diplomatiques et militaires, la tension permanente entre Paris et Berlin, les abandons consentis jusqu’à présent (et dont le coût technologique industriel et humain est tout sauf neutre) et le climat de défiance qui prévaut désormais, militent clairement pour la rupture en 2022 de la coopération franco-allemande dans l’armement. Le développement d’un char de combat autour d’évolutions par standards du Leclerc est jugé possible par des experts du domaine ; quant à l’aviation de combat, le développement d’un programme national ne coûtera pas plus cher à la France qu’un programme en coopération. La France, en outre, ne saurait confier à l’Allemagne une large partie du développement du vecteur de sa dissuasion aéroportée.

 

N°2 – Allemagne : réflexions sur la Bundeswehr du futur (Gedanken zur Bundeswehr der Zukunft)

Dix ans après un premier rapport, cinq après le Livre Blanc, le ministère de la Défense a éprouvé le besoin d’actualiser sa réflexion ; il revient sur les menaces, son rôle, ses finances, sa stratégie et ses axes d’effort, dont la mise en place d’une LPM pour ses acquisitions.

On retiendra de ce court papier (7 pages) les points suivants :

  1. L’Allemagne reconnaît que le monde a de plus en plus recours à la guerre comme mode de résolution des conflits ;
  2. L’Allemagne reconnaît qu’elle peut ou doit mener des opérations intérieures ;
  3. L’Allemagne a pour objectif d’être une nation-cadre pour ses alliés, fournissant formation, infrastructures et logistique face à la Russie qui demeure la principale puissance d’opposition face à l’Ouest ;
  4. L’Allemagne doit poursuivre son effort de défense afin de devenir contributrice et non plus seulement débitrice dans le domaine de la défense, mais elle doit le faire de manière ciblée (quelles menaces, quelles capacités, quels meilleurs leviers pour l’industrie, etc) ;
  5. L’Allemagne doit créer des structures afin de parvenir à ses fins : conseil national de sécurité pour coordonner les sujets d’intérêt majeurs, mise en place d’une loi de financement pour la Bundeswehr.

 

Un calendrier de mise en œuvre est proposé :

  • En mars, une évaluation de la défense sol-air ;
  • Au 1er trimestre, transmission du contrat Eurodrone au Bundestag ;
  • Au 2ème trimestre, une décision sur le remplacement des hélicoptères lourds de manœuvre ;
  • En avril, un concept de défense du territoire ;
  • En mai, publication des points-clés pour l’armée avec propositions sur les capacités, structures et disponibilité opérationnelle.

Indépendamment des décisions sur les programmes, l’aspect le plus novateur et le plus intéressant reste la mise en place d’une loi pour le financement pluriannuel de la Bundeswehr. Cette idée a été d’ailleurs approuvée par le spécialiste des questions de défense des Verts, M. Tobias Lindner. Selon lui, la Bundeswehr a en effet besoin d’une loi de planification pour le financement de ses programmes majeurs ; cette « Verteidigungsplanungsgesetz » s’étalerait sur une période de dix ou quinze ans. Dans ce cadre, un plafond strict des dépenses serait instauré, ce qui permettrait d’éviter les dérives calendaires et financières des programmes, constatées chaque année dans le Rüstungsbericht. Une telle loi renforcerait enfin le rôle du Bundestag dans le contrôle des budgets et de l’action gouvernementale.

Ainsi, si l’accord se fait sur l’outil, les finalités qui lui sont dévolues ne sont pas les mêmes : serait-ce un avant-goût des divergences entre (futurs ?) partenaires de la coalition sur les questions de défense et qui seront, forcément pour la France de mauvaises surprises en chaîne ?

 

N°3 – France : quel financement de l’activité Défense par les banques ?

Le récent rapport des députés Françoise Ballet-Blu et Jean-Louis Thiériot met en évidence une frilosité bancaire croissante sur le financement de l’industrie de défense, qui pénalise notamment les PME. Ils suggèrent la création d’un médiateur et des formations communes sous l’égide de l’IHEDN.

  • D’un côté, les industriels de défense, qui dénoncent à grands cris, depuis fin 2020, la frilosité des banques à financer le secteur ;
  • De l’autre, les banques, qui nient tout ostracisme sur l’industrie militaire et parlent d’un faux procès.

Dans ce rapport publié le 17 février, les députés établissent un diagnostic clair : s’il n’y a pas à proprement parler d’effondrement du soutien bancaire au secteur, il y a bien une certaine « frilosité bancaire » sur le sujet défense, notamment vis-à-vis des PME exportatrices. Cette frilosité, écrivent les députés, « s’explique notamment par une méconnaissance générale de l’industrie de défense, de ses enjeux comme de ses pratiques, mais aussi par le durcissement du cadre juridique qui fait de la « conformité » le nouveau juge de paix de son financement« .

  1. Pourquoi ces réticences ?
  • Une tendance à la « sur-conformité » qui serait pratiquée par les banques depuis la loi Sapin 2 de lutte contre la corruption.
  • Le risque d’image pour les banques semble aussi peser. « Les controverses autour de l’emploi d’armements français au Yémen ont constitué un tournant« .
  • Côté fonds d’investissements, c’est la longueur des cycles industriels de la défense qui semble effrayer les grands acteurs, de même que les incertitudes sur les sorties, avec le risque d’un blocage potentiel de l’Etat.

Le risque pour l’industrie de défense est clair : un assèchement progressif du financement du secteur. Le britannique HSBC et les banques italiennes ont ouvert la voie, en s’éloignant des sujets de défense. La banque néerlandaise ING n’accepte de financer que les entreprises réalisant moins de 50% de leur activité dans le militaire. L’étau se resserre aussi en Allemagne, où un projet d’interdiction de cotation d’industriels de défense fabriquant des armements dits « controversés » au DAX 40 (le CAC 40 allemand) a failli être mené à son terme. La montée en puissance des fonds ISR (investissements socialement responsables), qui excluent par principe l’armement comme le nucléaire, le charbon ou le tabac, pourrait aussi fragiliser la filière.

 

  1. Que faire ?

Le rapport de l’Assemblée suggère :

  • Un dialogue renforcé entre secteur financier et industrie de défense, qui pourrait passer par la création d’un poste de référent défense au sein des banques. Société Générale l’a d’ailleurs déjà fait ;
  • Des formations croisées au sein de l’IHEDN (Institut des hautes études de Défense nationale), avec des visites d’unités, des formations sur les industries stratégiques ;
  • Une plus grande transparence des banques sur les motifs de refus, qui seraient adressés par écrit aux sociétés concernées, et sur les critères d’évaluation adoptés par les banques ;
  • La création d’un médiateur du financement de l’industrie de défense, qui pourrait avoir connaissance, de façon confidentielle, des règles d’exclusion des banques.
  • Que la banque publique Bpifrance soit quant à elle invitée à soutenir plus massivement les exportations d’armement, en déplafonnant ses seuils d’intervention sur les crédit-export. Ceux-ci passeraient de 25 à 50 millions pour les financements en solitaire, et de 75 à 100 millions d’euros pour les opérations en cofinancement.

Cette question du financement de l’activité Défense devient réellement délicate compte de la judiciarisation inquiétante de la vie industrielle d’une manière générale. Comme le droit a tout gelé au lieu de tout fluidifier, c’est donc à l’État de garantir le bon financement des activités Défense par le biais des LPM pour la conception et la production nationales,

N°4 – Mer de Chine et Golfe de Guinée : deux zones maritimes à surveiller

  • En mer de Chine, la promulgation le 1er février dernier de la loi autorisant les garde-côtes à faire usage de leurs armes (légères ou lourdes) a rallumé les tensions régionales : on craint en effet que cette loi ne concourre davantage à la politique du fait accompli par Pékin : après les cartes maritimes remaniées selon ses intérêts (Pékin estime que 80% de la mer de Chine lui appartient), la militarisation d’îlots dans des zones contestées, cette loi donne un pouvoir aux unités de patrouille dans l’espace chinois ou revendiqué comme tel inquiétant surtout quand on sait que les garde-côtes chinois ont une force supérieure (en hommes et en tonnage) à l’ensemble des pays de la région.

 

  • Dans le Golfe de Guinée, où la piraterie sévit de manière endémique, plusieurs marines de la région ont augmenté récemment leur effort de réarmement de manière significative : le Sénégal est la première Marine à se doter de patrouilleurs lance-missiles d’origine française (Piriou), la Côte d’Ivoire fait construire actuellement en Israël deux patrouilleurs de 45m et le Nigéria poursuit un programme de réarmement naval conséquent, faisant appel à plusieurs fournisseurs (Israël, France, Singapour) et le Ghana a toujours un projet de deux patrouilleurs hauturiers de 70m.

 

N° 5 – L’enjeu des câbles sous-marins

Le centre d’études Jamestown Foundation a fait paraître un rapport sur le projet russe de pose d’un réseau étendu de câbles à fibres optiques pour desservir les régions nordiques. Selon la Fondation, ce projet vise également à promouvoir la coopération internationale mais le centre américain craint qu’il ne ravive en réalité les tensions dans cette région où les enjeux sont aussi énergétiques, minéraux et commerciaux.

  • La Russie prévoit de poser un câble à fibres optiques de 14 000 km le long du passage du Nord-Est (dont la route de la mer du Nord est une partie principale), de la Finlande au Japon. Le coût est estimé entre $800 millions et $1,2 milliard et le débit max. de données offert à 200 téraoctets par seconde. Il est prévu de construire 11 lignes secondaires pour connecter le câble central avec les régions du Nord de la Sibérie et de l’Extrême-Orient russe.
  • Quels enjeux ? Pour la Jameson Foundation, la participation indirecte présumée du service de renseignement intérieur dans le consortium Arctic Connect implique des défis de sécurité à long et court terme pour l’Occident. Le service de sécurité « pourrait être en mesure de surveiller et de lire des données qui transitent entre le Japon et l’Europe, ce qui pourrait compromettre les intérêts commerciaux et la sécurité de l’information des pays situés aux deux extrémités de cette ligne« . La réussite de ce projet pourrait également aboutir à l’installation secrète d’autres systèmes de câbles sous-marins qui incluraient des réseaux de détection similaires au IUSS (Integrated Undersea Surveillance System, successeur du système SOSUS – Sound Surveillance System).

Dans un entretien à Mer & Marine ce mois-ci, le chef d’État-Major de la Marine française avait prévenu : « La maîtrise des fonds marins constitue en effet un domaine important et là aussi il est temps de rattraper notre retard. C’est un sujet à portée stratégique quand on pense que, par exemple, 90% de l’Internet mondial s’appuie sur un réseau de câbles sous-marins. Mais il y aussi les câbles de puissance, pour le transport d’énergie, et les câbles scientifiques. »  (…)

 « Nous devons donc être en mesure de faire face au développement d’une guerre sous-marine hybride, qui n’implique plus seulement des sous-marins, mais aussi des actions potentielles de sabotage et d’espionnage des équipements installés au fond de la mer. »