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Diplomatie

par | 9 juillet 2021 | Newsletter

Le dossier : sans surprise l’Allemagne trahit la coopération de défense avec la France

Le mois de juin aura été celui des douches froides pour la France dans sa relation armement avec l’Allemagne.

La résistance de l’Etat profond aux projets avec la France

Tout a d’abord débuté avec une résistance de l’Etat profond allemand aux projets d’armement avec la France. Deux analyses successives – l’une venant du BAAiNBW, la DGA allemande basée à Coblence, et l’autre, plus politique, issue du collège des secrétaires d’Etat – remettent en cause le résultat des négociations sur le SCAF en expliquant :

Premièrement que le projet n’est pas mâture technologiquement

Dès la première page, le BAAiNBw recommande que le contrat soit renégocié d’un point de vue économique et technologique parce qu’en l’état il ne peut pas être signé (“aus technisch-wirtschaftlicher Sicht nachverhandelt werden muss und mithin nicht zeichnungsreif ist”).

Pour la DGA allemande, en effet, il y a un risque certain que les technologies critiques ne soient pas suffisamment matures et que les jalons calendaires ne soient pas respectés (“signifikante Risiko, dass kritische Technologien nicht, nicht rechtzeitig oder nicht in ausreichendem Maß reif gemacht warden”).

Elle remarque que les approches innovantes sur le plan technologique ne sont pas suffisamment reconnaissables, ce qui emporte le risque que des technologies essentielles ne puissent être ni prises en compte plus tard ni finançables (« Innovative Technologieansätze seien ohnehin kaum erkennbar. Damit bestehe das Risiko, dass essenzielle Technologien entweder gar nicht oder erst in späteren Phasen betrachtet werden und dann nicht finanzierbar sind”).

Deuxièmement que le projet ne bénéficie pas à l’industrie allemande

MTU a ainsi bradé sa technologie à Safran (“So habe der deutsche Triebwerkshersteller MTU seine Zusammenarbeit mit dem französischen Unternehmen Safran teuer erkauft (…)). Le prototype aura un moteur moins puissant que celui développé pour l’Eurofighter (Stattdessen werde dieser Demonstrator nun mit dem erheblich leistungsschwächeren« Triebwerk der französischen Rafale ausgestattet”).

Le projet est ainsi encadré et dirigé que les intérêts de l’industrie allemande ne seront pas favorisés (“Der Vertrag führt Strukturen und Regeln fort, die nicht im deutschen Interesse sind und nahezu ausschließlich französischen Positionen genügen”). Contrairement à ce que l’opinion française en dit, la domination française est fortement ancrée dans le projet (« Ein Durchsetzen deutscher Positionen im laufenden Programm gilt als wenig wahrscheinlich. Entgegen der in der französischen Öffentlichkeit kolportierten Einschätzung sei die französische Dominanz im Projekt sehr stark verankert”).

Alors que l’industrie française bénéficiera à plein de ce projet, Airbus aura du mal à développer son savoir-faire dans les parties essentielles du projet et à y jouer un rôle moteur (« (“Während die französische Industrie davon profitiere, werde der deutsche Industriepartner Airbus sein Know-how in der Kernsparte Kampfflugzeug nicht im möglichen und nötigen Umfang ausbauen können, um noch eine tragende Rolle spielen zu können”).

Le rapport reçu à Berlin a jeté un froid ; la ministre de la Défense a donc demandé une évaluation plus politique à son cabinet, qui s’est elle-aussi montrée négative :

Durant les négociations, des risques considérables, des problèmes ou des compromis ont dû être réalisés pour aboutir à un accord (“Es wurden im Rahmen der Verhandlungen erhebliche Risiken und Probleme/Schwachstellen akzeptiert, um eine Einigung zu ermöglichen”).

La très forte domination française sur ce projet aboutira à ce qu’il ne débouchera pas sur un avion de combat de 6ème génération, mais sur un Rafale+ développé sur les budgets allemand et espagnol (« (“Die starke französische Positionierung wird dazu führen, dass das Ziel, ein Kampfflugzeug der 6. Generation zu entwickeln, verfehlt wird und das Projekt stattdessen zu einem Rafale-Plus Ansatz mit deutschen und spanischen Haushaltsmitteln wird.”).

Le vote du programme SCAF le 23 juin : aucun enthousiasme, des conditions et des oppositions

Le 23 juin, la Commission du Budget du Bundestag votait sans enthousiasme la phase 1b du programme d’avion d’armes (développement du démonstrateur).

Le vote d’abord montre la résistance future à laquelle il faudra s’attendre pour les prochaines étapes puisque si la CDU/CSU (15), la F.D.P (5) et la SPD (10) ont voté pour, l’AfD (6), l’extrême-gauche (4) et les verts (4) ont voté contre. Que se passera-t-il en cas de coalition à l’automne entre la CDU/CSU et les verts, hypothèse très plausible ?

Ensuite, le programme a été soumis à une résolution qui conditionne le financement futur majeur (phase 2 : construction du démonstrateur pour plus de 3 milliards €) à :

l’avancée parallèle du programme de char de combat (pour lequel Rheinmetall avec la complicité de KMW tente de s’imposer contre Nexter alors qu’il n’était pas dans le programme au départ…) ;

le transfert du programme à une autorité internationale , ce qui fait fi du rôle de leader de la France ;

la possibilité d’un démonstrateur en Allemagne, ce qui détruit l’unité de direction de la France qui en avait la responsabilité ;

l’utilisation des droits de propriété intellectuelle acquis au cours du programme pour d’autres utilisations que le projet d’avions…

Le vote en faveur de l’avion de patrouille maritime américain contre le projet bilatéral

Dans la même session, la commission du Budget votait en faveur du P-8 Poseidon, avion de patrouille maritime américain (1,43 milliard €), un programme concurrent du projet franco-allemand (dit MAWS). Ce mauvais coup allemand, contraire aux accords de juillet 2017 et des sommets franco-allemands ultérieurs, devait inciter Paris à se retirer du projet bilatéral. Même si les députés allemands ont prétendu que cet achat américain n’était que transitoire, son poids capacitaire et financier ruine tout projet avec la France dans ce domaine.

Déjà en défaveur de la France puisque les seuls spécialistes d’un avion de patrouille européens – Dassault Aviation et Thales – étaient écartés du projet en faveur des industriels allemands (Airbus et Hensoldt), ce projet mal-né est tué dans l’œuf par l’Etat profond allemand qui ne croit pas en la coopération de défense avec la France,  donnant ainsi mille fois raison à notre Groupe qui n’a eu de cesse de dénoncer l’Allemagne comme le plus mauvais partenaire pour la France dans la défense et l’armement. La conclusion s’impose devant les actions des Allemands eux-mêmes : il faut sortir de ces coopérations et trouver la seule voie des solutions nationales, toutes viables, performantes et compétitives.