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Les télégrammes

par | 25 mai 2021 | Newsletter

N°1 – Le verrou du Tchad sautera-t-il ? La menace d’une déstabilisation d’un régime ami

On emprunte au numéro 137 d’Afrique réelle, page 2, la publication de Bernard Lugan, cette analyse qui remet en perspective les enjeux après la mort d’Idriss Déby.

« Déstabilisée par la mort d’Idriss Déby, l’alchimie ethno-clanique constituée autour de sa personne est en ébullition. Si, à la faveur de ses rivalités internes et des règlements de compte qui s’annoncent, les Toubou refaisaient leur unité, comme en 1998 quand Youssouf Togoïmi fonda le MDJT (Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad) pour fédérer les opposants toubou à Idriss Déby, et si l’une ou l’autre des fractions ou des sous-fractions de l’ancienne matrice ethno-clanique constituée autour d’Idriss Déby, rejoignait les rebelles, le régime de son fils serait alors extrêmement fragilisé.

L’avenir du Tchad est donc problématique dans la mesure où, en plus de la crise économique en partie conséquence de la question pétrolière, le pays est profondément divisé par de puissants déterminismes ethno-régionaux. Mis en sommeil durant deux décennies, ils sont en permanence prêts à se réveiller dans un contexte régional conflictuel aggravé par les solidarités ethniques transfrontalières (Libye, Soudan, Nigeria et RCA).

Les fractures qui provoquèrent un demi-siècle de conflits demeurent donc. Dans l’incertitude actuelle, les rumeurs, les jeux politiques, les déclarations des-uns et des autres, les questions qui se posent sur l’avenir du G5 Sahel, le jeu de la Turquie, de la Russie, de la Chine et la navigation à vue de la France, ne permettent pas de prévoir de ce que sera fait l’avenir à court et à moyen terme. »

Le Tchad est un verrou stratégique, touchant à l’ensemble des pays sensibles de la région – la Libye, l’Egypte, l’Algérie, le Niger, le Soudan, la Centrafrique et le Nigéria- : c’est pourquoi il faudra suivre attentivement les évènements des semaines prochaines. La France doit donc cesser de naviguer à vue et résolument soutenir le nouveau régime afin d’éviter l’implosion non d’un pays mais de toute la région.

N°2 – Madagascar : les enjeux pour la France d’une protection de la grande île

L’Administration française – direction de la coopération de défense des affaires étrangères agence française de développement (AFD) se penche sur la protection des côtes de la Grande île.

Il s’agit d’abord de renforcer la signalisation maritime à l’aide d’une chaîne sémaphorique (au Nord et au Sud) ; une chaîne de radars côtiers pourrait ensuite être construite afin de contrôler le trafic. Un dispositif d’identification automatique des navires (dit AIS) pourrait enfin compléter ce dispositif destiné à empêcher les trafics illégaux dont celui, inquiétant, de la pêche. Certaines briques de ce dispositif à trois étages pourraient être réalisées en commun avec les États-Unis, également sensibles à la pénétration chinoise et islamiste de la région.

Pour Paris, le défi régional est double : sa ZEE est toute proche (Réunion et Juan de Nova), elle doit renforcer sa vigilance face aux flottilles de pêche étrangères ; ensuite, la déstabilisation du Mozambique par l’Etat islamique, menace aussi le canal éponyme, proche de ses eaux.

Compte tenu de ces deux menaces, la France n’aura pas d’autre choix que de renforcer de manière qualitative et quantitative ses moyens positionnés dans la région (patrouilleurs armés, aéronefs, forces terrestres) dans le cadre de son réinvestissement non seulement de sa ZEE mais aussi de l’Océan Indien. 

N°3 – Libye : la tutelle turque s’installe, que fait la France ?

Lors de sa visite en Turquie, le Premier Ministre libyen, M. Dbeibah, s’est fortement entouré, démontrant ainsi le caractère stratégique et global de son alliance avec la Turquie d’Erdogan. Quatorze ministres (dont celui des affaires étrangères, de l’économie, du pétrole, de la construction et de la reconstruction) son CEMA et président de la Banque libyenne, faisaient partie du déplacement. 

A Ankara, cinq accords-cadres ont été signés : coopération en matière de migration illégale, augmentation du commerce (l’objectif d’ici deux années est d’aboutir à un volume bilatéral de 5 milliards de dollars annuels), formation des diplomates libyens, lutte contre la pandémie, coopération en matière de sécurité frontalière (garde-côtes et garde-frontières).

Commentaires :

Après la visite italienne en Libye, c’est au gouvernement turc de reprendre la main sur le pays ; de fait, la Tripolitaine est devenue une province turque – vilayet où Ankara s’imposera dans la reconstruction du pays et imposera sa direction politique au régime actuel et à celui qui sortira des urnes en fin d’année.

La Turquie et la Libye ont ensemble réaffirmé les protocoles d’accord du 27 novembre 2019. Paraphés le 27 novembre 2019, ces deux textes sont donc maintenus en dépit du changement de Premier Ministre : coopération militaire étroite et surtout délimitation maritime qui permet à la Turquie de faire valoir ses droits sur de vastes zones en Méditerranée orientale convoitée par l’Égypte, la Grèce et Chypre pour leur potentiel en ressources gazières. Ce tracé, réalisé sans regard et sans égard pour les revendications des autres pays de la zone, ignore par exemple totalement l’île grecque de Crète.

C’est pourquoi après une période de flottement incompréhensible, la France doit reprendre rapidement la main : c’est une priorité diplomatique face à Ankara, une priorité face à l’immigration illégale qui part de là est un enjeu crucial pour Barkhane. Or, il n’existe aucun plan, aucune administration de mission créée pour coordonner cette vaste stratégie, pourtant indispensable.

N°4 – Libye 2 : les contrats italiens repris et honorés, que fait la France (bis) ?

Après la visite de M. Draghi qui a ouvert la voie politiquement, le détail des dossiers bilatéraux commence à se discuter. Chapeauté par le sous-secrétaire aux Affaires étrangères et coprésident de la Cecil (Commission économique mixte italo-libyenne), M. Manlio Di Stefano a discuté de la reprise concrète de la coopération avec la ministre des Affaires étrangères, Mme Najla Al-Mangoush.

Le pacte de 2008 sera honoré : il prévoit un règlement complet des questions coloniales (indemnités) et donne, en contrepartie, un avantage concurrentiel clair aux sociétés italiennes sur les autres partenaires de la Libye ;

C’est ainsi que les contrats turcs (formation pour équipages des garde-côtes, fourniture de drones, constructions – autoroutes, aéroports -, etc.) ne sont pas concurrents des projets italiens, gelés jusqu’à présent, et en phase de redémarrage 

N°5 – Allemagne : quels scenarii de coalition et quelles conséquences pour la France ?

La Fondation Schuman consacre à l’Allemagne son n°593 du 26 avril. Les auteurs (Franck Baasner et Stefan Seidendorf) de cette édition :

Notent d’abord que la scène politique allemande s’est totalement transformée : la CDU (avec M. Laschet) et la CSU (avec M. Söder) sont en guerre ouverte mais ne dépassent pas les 27 à 30% des voix ; la SPD, elle, s’est totalement effondrée : aucun sondage ne lui donne plus de 20%, et tous la situent autour de 15% maximum ; quant aux Verts, véritables bénéficiaires de cette scène politique allemande renouvelée, ils se situent autour de 20 à 23% et sont déterminés à gouverner ; la F.D.P, c’est-à-dire les libéraux, est créditée de 9% ;

Estiment possibles plusieurs scenarii :

Les auteurs concluent que la scène politique allemande devrait vivre des bouleversements profonds, à défaut d’un tremblement de terre ; ils estiment que l’option la plus probable est la coalition CDU/CSU/Verts autour d’un « programme ambitieux et novateur ».

Commentaires : si cette dernière option devait se réaliser, les conséquences pour la coopération franco-allemande dans l’armement seraient extrêmement dommageables : les Verts imposeront une vision encore plus restrictive des exportations d’armement, tandis que la CDU/CSU poursuivra avec détermination sa défense des intérêts industriels allemands. Piégée dans la coopération par des abandons que rien ne justifie, la France le sera également sur les marchés export car le contrat de coalition sera évidemment une norme politique supérieure à l’accord bilatéral de minimis qui, rappelons-le, n’est pas passée par les Parlements nationaux.