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Diplomatie. Le dossier : Israël et Iran, récit d’une guerre clandestine navale sans pitié

par | 25 mai 2021 | Newsletter

Bataille navale clandestine entre Israël et Iran

Le 13 avril dernier, un navire commercial identifié comme étant le MV Hyperion Ray, un transporteur de véhicules battant pavillon des Bahamas, qui était en transit vers le port de Fujairah depuis le Koweït, et exploité par l’entreprise israélienne Ray Shipping, a été attaqué au large des côtes des Émirats arabes unis. Israël a indirectement pointé l’Iran comme responsable.

Il s’agissait de la 4ème attaque en peu de temps :

Le 25 mars, un porte-conteneurs battant pavillon libérien et appartenant à la société israélienne XT Management a été frappé par un missile en mer d’Oman alors qu’il était en transit de la Tanzanie vers l’Inde. Bien qu’endommagé, le navire a pu poursuivre son voyage ;

Les 25 & 26 février derniers, le cargo MV Helios Ray, battant pavillon des Bahamas et appartenant à la société israélienne Ray Shipping Ltd, a été endommagé par une explosion qui s’est produite alors que le navire se trouvait dans le golfe d’Oman. Bien que Téhéran ait nié toute implication, plusieurs journaux américains ont rapporté qu’Israël avait pris pour cible une dizaine de navires à destination de la Syrie qui transportait pour la plupart du pétrole iranien et des armes.

Le 7 avril, enfin, quelques heures avant que ne s’ouvrent les pourparlers de Vienne, Israël frappait en mer Rouge le Saviz, un cargo qu’elle soupçonnait d’appartenir aux Gardiens de la Révolution iraniens.

Analyse :

Une bataille navale aux effets très dosés. Israël et l’Iran, chacun pour ses motifs propres, avait tacitement décidé de maintenir ces joutes maritimes secrètes, joutes durant depuis des années désormais.

Aucun navire iranien n’a jamais été coulé, mais beaucoup ont été suffisamment endommagés pour annuler ou retarder leurs livraisons d’hydrocarbures. Environ 20 tankers iraniens ont été ainsi sabotés. Sur deux années et demie, le coût estimé pour l’Iran dépasserait le milliard de dollars ;

Après que ces opérations ont été révélées, les Iraniens ont rapidement réagi, sabotant dans le Golfe deux navires commerciaux détenus par des armateurs israéliens, mais de manière à causer peu de dégâts, pour éviter un engrenage risqué.

Le moment retenu est clé. Cinq jours plus tard advenait l’attaque sur le site de Natanz, dont la dimension politique est sans commune mesure avec les batailles navales évoquées. Ce n’est pourtant pas non plus la première fois qu’Israël s’en prend à la capacité iranienne de produire de la matière fissile. En 2010, une première cyberattaque conçue par le Mossad et la NSA avait permis à un virus informatique, appelé Stuxnet, de causer des dégâts importants aux centrifugeuses iraniennes de Natanz et Bouchehr. Cette fois, l’attaque est plus ambitieuse : elle pourrait avoir fait perdre à l’Iran entre six mois et un an d’enrichissement de matière fissile (Téhéran conteste cette évaluation). Mais c’est surtout le moment choisi pour cette attaque et le fait qu’Israël en assume quasi publiquement la responsabilité qui sont très significatifs.

L’attaque a eu lieu en pleine négociation entre les grandes puissances et l’Iran. Israël a tenu à faire savoir qu’il a choisi la voie de la confrontation. Et de le faire savoir à l’Iran, certes, mais aussi, et c’est sans doute le plus important, à Washington.

Le moment de l’attaque sur Natanz (une opération obligatoirement préparée de longue date et dont le déclenchement est fonction des circonstances politiques) n’est pas indifférent. Si, Américains et Iraniens avaient progressé à Vienne sur la voie d’un retour au respect mutuel des conditions de l’accord de 2015, l’attaque sur Natanz pourrait bien être une réaction à un tel accord déjà existant entre les États-Unis et l’Iran. Autrement dit, le sabotage de la centrale iranienne est un message israélien prioritairement dirigé vers les États-Unis.

Les réactions graduées de l’Iran. Téhéran, comme on pouvait s’y attendre, a réagi au sabotage de son site par une série de mesures :

L’une, de peu d’envergure, s’est réduite dès le lendemain à une attaque de basse intensité en mer d’Arabie contre un cargo commercial détenu pour moitié par un armateur israélien ;

La deuxième a été l’annonce de l’acquisition de 1 000 nouvelles centrifugeuses d’une qualité supérieure aux précédentes pour pallier les dégâts causés à Natanz (IR 6 par rapport aux IR5 & 4) ;

La troisième a été plus spectaculaire : l’Iran a indiqué qu’il allait démarrer dès la semaine suivante d’enrichir de l’uranium à 60 %.

Pour mémoire, l’accord JCPOA de 2015 interdisait à l’Iran tout enrichissement au-delà de 3,27 %.

Un an et demi après le retrait américain, l’Iran engageait un enrichissement de l’uranium à hauteur de 20 %.

La nouvelle donne : la Russie entre en jeu

Les approvisionnements en armes et munitions des proxies et alliés de l’Iran dans la région viennent de changer d’itinéraire : de terrestre ou aérienne, où Israël les localisait puis les détruisait avec des raids aériens éclair, la route du pétrole et des armes pour la Syrie emprunte désormais la voie maritime et sous escorte russe.  

Ce changement de route et de méthode bouleverse la donne pour l’État hébreu, et paradoxalement, celui-ci en est responsable. Les succès des raids aériens comme de la guerre clandestine navale à laquelle Iraniens et Israéliens se livrent depuis deux ans ont en effet amené les Iraniens à modifier leur logistique régionale ;

La Russie, appelée à la rescousse, voit dans la protection des convois iraniens une excellente occasion de se maintenir dans le jeu régional, en excluant les Américains (en dépit de la présence de deux de ses grandes flottes : les 5ème et 6ème), tout en faisant pression sur Israël pour que sa campagne militaire, ouverte ou clandestine, prenne fin et évite ainsi de gâcher les négociations 5+1 de Genève. Une unité composée de Russes, de Syriens et d’Iraniens sera ainsi établie pour s’assurer que le pétrole – et les armes qui sont aussi stockées dans les cargos iraniens, n’en doutons pas…– atteignent bien les ports syriens et en repartent sans être sabotés soit en surface soit sous l’eau.  Pour la Syrie, cet approvisionnement en pétrole est un des nerfs de la reconstruction, puisque la zone pétrolière du pays – située principalement à l’Est de Deir a-Zor – est encore une zone de combats ;

Là-bas, loin de ce théâtre d’opérations, une autre guerre se joue sur le plan diplomatique : celle du sauvetage de l’accord de 2015 ; un troisième groupe de travail vient d’être créé, à côté de ceux traitant du nucléaire et des sanctions, qui doit se pencher sur les modalités pratiques d’un retour à l’accord 5+1 ; cette perspective, surtout si elle est décorrélée du programme balistique iranien – qui demeure un casus belli pour Israël et certaines pétro-monarchies du Golfe – n’est tout simplement pas envisageable pour Tel-Aiv ;  

La perspective de voir des missiles iraniens en Syrie n’a jamais laissé Israël inerte ; le dernier SA-5, pourtant un missile datant de la fin des années 60, lancé depuis la Syrie, a pourtant semble-t-il, déjoué la défense sol-air multi-couches israélienne : le missile a été détecté par un radar d’alerte avancée, un missile intercepteur Arrow-2 a été lancé, mais a raté sa cible. Le vieux SA-5 a explosé non loin du centre de recherches nucléaires de Dimona ; un sérieux avertissement qui déclenchera, n’en doutons pas, une contre-stratégie israélienne étalée en profondeur : des mers traversées par les cargos iraniens à un renforcement des couches sol-air du pays.