N°1 – Egypte, guerre des mots, guerre de l’eau ?
Alors que le barrage de la Renaissance en Ethiopie (sur le Nil bleu, affluent du Nil) aura atteint son premier niveau de remplissage le 15 avril[1], le Président égyptien a profité de la réouverture du canal de Suez (bloqué du 23 au 29 mars) pour réaffirmer dans une conférence qui s’est tenue à Ismaïlia le 30 mars que, faute d’accord régional sur le partage des eaux, l’Egypte, alliée au Soudan, se ferait entendre.
- « Personne ne peut se permettre de prendre une goutte d’eau de l’Egypte, sinon la région connaîtra une instabilité inimaginable » (…) Personne ne doit s’imaginer qu’il est loin de la portée de l’Egypte » ;
- Il a souligné que si « son pays n’a jamais menacé, notre réaction au cas où l’on porterait atteinte à la part des eaux du Nil qui revient jusque-là à l’Egypte affectera la stabilité de l’ensemble de la région ».
Selon les estimations égyptiennes officielles, le barrage, même partiellement rempli, devrait provoquer une perte d’eau disponible de 14 à 22% et la disparition de 30% des terres agricoles, faute d’irrigation.
Diverses personnalités du régime égyptien n’ont pas hésité à être plus nets en précisant les points suivants :
- Un accord de défense existe entre l’Egypte et le Soudan et la question de l’eau y est centrale ;
- L’Arabie, les EAU, Oman, Bahreïn et la Jordanie soutiennent ouvertement les deux alliés par voie officielle et publique ;
- Les moyens militaires égyptiens sont en alerte (avions d’armes & missiles sol-sol).
N°2 – Golfe : les transitions pacifiques et conflictuelles
L’heure est à la transition dans le Golfe et au Proche-Orient : certaines transitions sont pacifiques ; d’autres sont plus délicates. Plusieurs sources bien informées dans la région, dont Middle East Strategies & Perspectives (Liban) en ont dressé un intéressant bilan.
- Les transitions pacifiques
Elles se sont déroulées sans heurt à Oman, au Koweït, à Bahreïn et au Qatar :
- A Oman, en 2020, c’est l’ancien sultan Qaboos Bin Saïd El Saïd qui avait désigné son neveu, Haytham Ben Tareq Al Saïd, pour lui succéder ; celui-ci a aussitôt modifié la loi pour assurer au régime un prince héritier, fils aîné du Sultan régnant. C’est donc Sayyid Theyazin Ben Haytham Ben Tareq Al Saïd, 31 ans, qui succédera à son père, 65 ans, le temps venu ;
- Au Koweït, la même année, à la mort de cheikh Sabah el-Ahmad el-Jaber Al Sabah, 91 ans, c’est son demi-frère, le Prince héritier cheikh Nawwaf el-Ahmad El Sabah (83 ans). Lequel a nommé cheikh Mishaal al-Ahmad el-Jaber El Sabah (80 ans) ;
- A Bahreïn, le Roi Hamad Ben Issa El Khalifa, 70 ans, est en poste depuis 2002, a nommé son fils, déjà Prince héritier, cheikh Salman Ben Issa El Khalifa (51 ans), déjà n°2 des armées, Premier ministre, mais le souverain n’oublie pas son autre fils cheikh Nasser Ben Hamad El Khalifa, Conseiller pour la Sécurité nationale, homme fort de la sécurité du régime ;
- Au Qatar, l’émir Tamim Bin Hamad El Thani, 40 ans, au pouvoir depuis le départ de son père l’émir Hamad Bin Khalifa El Thani (arrivé au pouvoir en 1995 à la faveur d’un coup d’Etat) n’a pas encore désigné de Prince héritier, même si son demi-frère, le vice-émir cheikh Abdullah Bin Hamad El Thani (33 ans), l’est de facto.
- Les transitions délicates
- Aux Emirats Arabes Unis, cheikh Khalifa Bin Zayed El Nahyan, est toujours au pouvoir : à 72 ans, de santé fragile, il demeure cependant chef de l’Etat, chef des armées et émir d’Abou Dhabi depuis 2004. Si le deuxième personnage de la Fédération émirienne est le Vice-Président et Premier ministre, cheikh Mohammed Bin Rached El Maktoum (71 ans), l’homme fort de la Fédération est bel et bien cheikh Mohammad Bin Zayed El Nahyan (60 ans) dit « MbZ». En patientant jusqu’à la succession, il prépare ses fils au pouvoir, mais doit gérer la rivalité vive entre le ministre des affaires étrangères, cheikh Abdullah Bin Zayed El Nahyan, frère de Khalifa, qui souhaite devenir Prince héritier et le conseiller à la sécurité nationale, son propre frère : cheikh Tahnoon Bin Zayed El Nahyan.
- En Arabie saoudite, le roi Salman Bin Abdulaziz, 85 ans, de santé très fragile, demeure toujours à la tête du Royaume. Son fils Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz, 35 ans, concentre l’essentiel des pouvoirs : vice-Premier ministre, ministre de la défense, architecte du plan de développement économique « Vision 2030 ». Maîtrisant totalement l’appareil sécuritaire, il n’hésite pas à mener régulièrement des purges plus ou moins médiatisées parmi les cercles les plus influents du royaume. Celui qui se voit déjà roi, construit son équipe proche. Il pense déjà à son futur prince héritier, poste pour lequel est pressenti son frère le prince Khaled Bin Salman Bin Abdulaziz (33 ans), ancien ambassadeur à Washington et qui est aujourd’hui vice-ministre de la défense et en charge du dossier sensible du Yémen. Cette équipe qui va accompagner MbS lors de son accession au trône, se construit selon un double critère : celui du maillage familial et celui des compétences techniques.
- En Jordanie, où circulent les rumeurs plus ou moins fondées de coup d’état contre Abdallah II, le Roi doit faire face, il est vrai, à un mécontentement tant intérieur (crise sanitaire entraînant une crise sociale et économique grave) qu’extérieur (le refus de signer les accords d’Abraham l’a éloigné de ses bailleurs de fonds, l’Arabie et les EAU) ; les analystes pointent la popularité de Prince Hamzah bin Hussein (fils d’Hussein II de Jordanie) et l’affaiblissement de celle du Roi au bout de vingt ans de règne.
N°3 – Etats-Unis : mesures contre la Turquie et l’Arabie
Dans la ligne des déclarations de campagne et dans l’esprit même des nominations, l’Administration Biden a donné coup sur coup deux exemples de sa volonté de sanctionner les gouvernements saoudien et turc, accusés pour l’un de manquements aux libertés et l’autre, à l’acquisition de matériels russes :
- Rédigée au Congrès par le député démocrate Connolly et déposée à la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants (depuis le 26 septembre 2019), la proposition de loi sur la protection des dissidents saoudiens (H.R. 4507) a été approuvée le 26 mars par la commission ; un vote en plénière à la Chambre des représentants doit donc avoir lieu avec le plein soutien de l’Administration Biden ;
- Le Federal Register du 7 avril a publié la liste des trois responsables du service de conduite des programmes d’armement turcs, le SSB (ex-SSM), coupables aux yeux de l’Administration d’avoir eu un rôle actif dans l’acquisition du S-400 (une batterie et négociation en vue d’une seconde). Il s’agit du Président du SSB, Ismail Demir, son Vice-Président, Faruk Yigit et le directeur de la division des systèmes sol-air, Mustafa Alper Deniz, pour qui tout actif aux Etats-Unis est gelé et pour qui tout visa est refusé. Par ailleurs et par extension, le texte de la sanction prise sous le régime général CAATSA, précise que :
- L’interdiction de toute licence d’exportation vers le SSBpar toute agence sans le feu vert de l’Administration ;
- L’interdiction de tout prêt supérieur à 10 millions $ à moins que le SSB ne se retire de toute activité d’atteinte aux droits de l’homme ;
- L’interdiction à l’Exim Bank de tout prêt au SSB.
N°4 – Brésil : la scène politique bouge, avec Bolsonaro qui limoge et Lula qui revient
Avec cinq années au moins de retard, le juge Fachin, l’un des onze de la Cour Suprême, a estimé début mars que le tribunal de Curitiba, qui avait condamné l’ancien Président Lula était incompétent pour juger de quatre affaires. Au-delà de l’imbroglio juridique et judiciaire qui ne peut se comprendre qu’avec l’analyse plus large des procès Lava Jato, M. Lula retrouve ses droits politiques : est-ce suffisant pour imaginer une candidature à la présidentielle ?
En dépit de la crise que traverse le pays, Bolsonaro a tout intérêt à mobiliser son électorat quelque peu déçu par les résultats économiques (chômage et inflation en croissance) sur le thème de l’opposition au Parti des Travailleurs, thème qui reste populaire.
Sur le court terme, le président brésilien a fait face à une crise inédite (depuis 1964 au moins) entre le pouvoir et l’armée. Sous la pression des députés du centrão, peu fiables mais indispensables, il a dû se défaire du ministre des Affaires étrangères, M. Araújo, populaire au sein de la base radicale de Bolsonaro et de cinq autres ministres dont celui de la défense qui refusait au Président le limogeage du chef d’Etat-major de l’armée de l’air, le général Pujol. Le limogeage du ministre de la défense, le général Fernando Azevedo e Silva, laissera des traces car l’homme était respecté au sein et en dehors de l’institution.
N°5 – Ukraine : fuite en avant dans les bras de l’OTAN
Depuis quelques mois, l’Ukraine a intensifié sa recherche de partenaires afin de présenter un front le plus large possible face à la Russie, toujours accusée d’armer et d’encourager les séparatistes du Donbass :
- Intensification des relations de défense avec les Etats-Unis (livraison de missiles anti-chars Javelin et de patrouilleurs d’occasion) ;
- Contrats avec la France (20 patrouilleurs pour garde-côtes et hélicoptères pour le ministère de l’Intérieur) ;
- Contrats navals (4 corvettes MILGEM-A) et coopération industrielle (sur les missiles anti-chars) avec la Turquie ;
- Coopération de défense avec le Royaume-Uni (projet de 8 patrouilleurs lance-missiles avec Babcock International).
Le Président Zelensky a franchi début avril un nouveau pas en demandant que soit accéléré le plan d’action pour l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, une perspective ressentie comme une provocation par la Russie.
[1] Il faudra cependant 7 ans pour que la capacité maximale du barrage soit atteinte, soit 74 milliards de mètres cubes d’eau et créer un lac de retenue de 250km en amont.