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Les télégrammes

par | 18 mars 2021 | Newsletter

N°1 : La Russie négocie un accord de coopération militaire avec l’Arabie

L’ordonnance n° 423 du Gouvernement de la Fédération de Russie, datée du 19 février 2021, a été publiée : elle porte sur la signature possible d’un « accord entre le Gouvernement de la Fédération de Russie et le Gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite sur la coopération militaire ».

Plus précisément, le Premier ministre russe Mikhail Mishustin a chargé le ministère russe de la Défense, conjointement avec le ministère des Affaires étrangères, de négocier avec l’Arabie saoudite et de signer un accord intergouvernemental sur la coopération militaire qui s’étendrait de la formation à la lutte contre la piraterie jusqu’à la coopération dans l’armement.

L’objectif est de disposer désormais d’un instrument juridique supérieur à l’accord-cadre du 5 octobre 2017 qui avait pavé la voie à certains contrats russes d’armement par l’Arabie et à une possible coopération de défense. L’accélération du calendrier ne doit rien au hasard : au moment où les États-Unis vont accentuer la pression sur l’Arabie (du Yémen à la publication du rapport de la C.I.A sur l’affaire Khashoggi en passant par la nature même du régime imposé par MbS), l’Arabie cherche un allié de poids en attendant de trouver un terrain d’entente avec la nouvelle Administration Biden.

 

N°2 : Golfe, entre défense des économies et économies sur la défense

Trois dossiers redistribuent les cartes au sein du GCC et dominent l’actualité :

  1. La nouvelle position de médiation du Qatar : elle sort renforcée à l’issue du sommet d’Al-Ula de janvier ; Doha jouit d’une bonne image auprès de l’administration Biden et d’une majorité de congressistes au détour de cette crise, contrairement à MbS et MbZ, tous deux identifiés comme l’axe dur du Golfe.
  • Le Qatar, en outre, se repositionne au centre du jeu au sein du GCC pour assurer différentes médiations, Iran-Arabie et Turquie-Arabie, faisant de la réconciliation saoudo-qatarie le socle d’une nouvelle ligne politique tournée vers le dialogue et profitant d’un certain retrait d’Oman dans ce rôle, occupé d’abord à rétablir les fondamentaux du Sultanat (institutions et économie).
  • En dépit de la méfiance qui persiste entre la dynastie Al-Thani et celle des Al-Saoud, l’émir Tamim n’a jamais constitué le cœur du problème dans la crise du Golfe, contrairement aux EAU qui ont ciblé la personne de Tamim. C’est davantage l’émir-père, cheikh Hamad et son ancien premier ministre et ministre des affaires étrangères Hamad Ben Jassem, concepteurs de la diplomatie qatarie depuis la moitié des années 1990, qui étaient des points de blocage.

 

  1. Défense des économies, des économies sur la Défense ? En dépit de tensions toujours vives, tous font le constat que la crise ouverte par l’embargo du Qatar (par le Blockading quartet), la plus grave de l’histoire de ce pacte régional – a coûté trop cher et devenait insoutenable avec la chute des prix du pétrole et plus encore, la pandémie Covid-19 qui paralyse l’économie mondiale, diminuant les demandes en pétrole et produits dérivés. L’essentiel aux yeux de la nouvelle génération de dirigeants du GCC est d’attirer les investissements directs étrangers. MbS doit, plus que tout autre, réussir sa « Vision 2030 ».

 

  • Les EAU et Bahreïn, qui certes attendent beaucoup de leur normalisation avec Israël, ont beaucoup plus à gagner à se rallier ;
  • Pour le Qatar, l’approche de l’organisation de la Coupe du monde de football 2022 est un rendez-vous à ne pas manquer ;
  • Quant au nouveau sultan d’Oman Haïtham Ben Tarek Ben Taïmour Al-Saïd, il partage la même vision économique du monde que ses pairs et mène deux front stabilité des institutions et relance de l’économie.

 

Il s’agit donc clairement d’un reflux de l’interventionnisme militaire au profit de la défense des économies. Le retrait des EAU de la base d’Assab en Erythrée (retrait des avions, puis des hangars des drones, rotation d’Il-76) a anticipé la décision américaine de ne plus soutenir l’effort de la coalition ; sans ce soutien, l’ensemble du dispositif régional monté par l’Arabie et les EAU n’a plus de sens, comme les opérations militaires elles-mêmes : il est amené à être démonté. Le Golfe expéditionnaire rentre dans ses frontières.

  1. L’attitude américaine face au Golfe : Obama III en vue ? La défense de leurs économies, très impactées par la pandémie, et la prise de conscience que la désunion est contre-productive avec l’élection de Joe Biden imposent à l’Arabie saoudite de changer de méthode en optant pour la voie diplomatique privilégiée au sein du GCC par le Koweït, Oman et le Qatar, au contraire de la politique interventionniste emmenée par les EAU depuis que MbZ a pris le contrôle de la fédération en janvier 2014.

 

  • Le président américain entend en effet réexaminer les relations avec Riyad et Abou Dhabi selon un processus institutionnel concerté avec le Congrès (hostile à l’Arabie, neutre pour les EAU et favorable au Qatar), contrairement à la gestion personnelle qui a prévalu sous la présidence Trump ;

 

  • Les dirigeants saoudiens comme la plupart de leurs pairs du Golfe gardent un souvenir amer de l’époque Obama, la composition du gouvernement Biden avec un grand nombre de personnalités impliquées dans l’accord sur le nucléaire iranien (5+1 ou JCPoA) du 14 juillet 2015, sonne à leurs oreilles comme une sorte d’administration Obama III.

 

N°3 – Egypte : après le gaz, le pétrole

Poussant les feux sur les infrastructures du pays (grande capitale, voies rapides ferroviaires), le régime les pousse aussi dans le domaine de l’énergie.

  1. Le gaz. Les ministres israélien et égyptien de l’Énergie se sont entendus dimanche pour construire un nouveau gazoduc entre le gisement offshore de Leviathan[1], en Méditerranée orientale, et l’Égypte afin d’accroître les livraisons de gaz naturel liquéfié vers l’Europe. Peu après le lancement de la production de Leviathan, l’Egypte avait annoncé avoir ses premières livraisons de gaz israélien via le pipeline sous-marin EMG reliant la ville israélienne d’Ashkelon à El-Arich. Le nouveau pipeline pourrait ou se greffer au gazoduc EMG ou aller directement du gisement Leviathan à l’Égypte aux deux usines de GNL de Damiette et d’Edku, construites au début des années 2000 (pour un montant 3,2 milliards $).

 

  1. Le pétrole. L’Égypte, qui a déjà atteint l’autosuffisance en gaz naturel, veut faire de même pour le pétrole. Le 18 février, le ministère de l’Energie a annoncé le lancement d’un appel d’offres pour l’exploration et l’exploitation du pétrole et du gaz naturel, qui couvrira 24 blocs. (9 en Méditerranée, 12 dans le désert occidental, 3 dans le golfe de Suez).

L’Italie surveille de près cette coopération, tant à l’ENI (découvreur du gigantesque gisement de Zohr) que de celui de Fincantieri (sponsor principal du salon d’armement égyptien prochain, EDEX, qui se déroulera du 29 novembre au 2 décembre 2021). La seconde FREMM, la Bernees, est actuellement à l’essai en Italie, après le retrait de certains systèmes OTAN.

 

N°4 : États-Unis : pression sur les alliés européens de l’Arabie et des EAU

Depuis le discours de M. Biden sur l’arrêt du soutien américain à la coalition anti-houthis au Yémen, le 4 février dernier, certains membres du Congrès souhaitent étendre cette décision au Royaume-Uni voire à la France ; par coïncidence calendaire, a été annoncé par le gouvernement britannique que les AEMG sur l’Arabie ont dépassé 1,4 milliard £ entre juillet et septembre dernier.

  1. Le sénateur Ron Wyden, Président de la Commission des Finances et critique régulier du régime saoudien, a été le premier à exiger que la position américaine s’étende aux alliés, Royaume-Uni et France : « American allies like the UK and France should follow suit immediately and stop enabling the Saudi regime » ;

 

  1. Le sénateur Chris Murphy, vétéran de la guérilla parlementaire contre l’Arabie depuis novembre 2018, a particulièrement ciblé les ventes d’armes britanniques à l’Arabie comme carburant à la guerre au Yémen ;

 

Commentaires :

  1. C’est donc la revanche des Congressmen qui, depuis 2019, avaient déclenché une véritable guérilla parlementaire contre les belligérants et leurs soutiens dans le conflit au Yémen ;
  2. C’est aussi le retour de l’éthique dans les relations internationales et la politique d’exportation après les années Trump marquées par des ventes décomplexées (voir réunion du 6 mai 2018 dans le Bureau Ovale où le Président Trump exhibait des planches où figuraient les matériels américains dont la vente venait d’être acceptée ou relancée) ;
  3. Cette politique est désormais officielle, presque bipartisane et fait l’objet d’un travail coordonné au sein de la nouvelle Administration pour réévaluer l’ensemble des politiques américaines dans le Golfe. Restent désormais à déterminer quelles pressions seront déployées par l’Administration Biden sur ses alliés. Traditionnellement, ce sont des envoyés spéciaux qui sont dépêchés avec un message présidentiel. Mais la diffusion du rapport de la C.I.A sur l’assassinat de Khashoggi peut en être une autre, comme Mme Avril Haynes, nouvelle directrice nationale du renseignement, l’avait suggéré lors de son audition au Sénat.
  4. L’Italie a, de son côté, suivi la décision américaine puisqu’elle a bloqué toute livraison de bombes et de missiles à l’Arabie et aux EAU pour les mêmes raisons.

 

Dans le passé, les États-Unis ont souvent fait pression sur la France pour lui interdire telle ou telle exportation d’armement, récemment encore à propos de la vente de missiles air-air Meteor ou de missiles de croisière Scalp sous les ailes du Rafale égyptien. La pression à cette époque venait d’Israël. Elle était politique ; elle est désormais éthique, mais dans les deux cas, la France est sommée d’abandonner ses intérêts diplomatiques, industriels et commerciaux en raison d’une politique d’un de ses alliés qui n’est pas la sienne.

C’est une atteinte claire à la souveraineté française : la solution réside donc dans le remplacement systématique de tout composant américain sur des systèmes sensibles dont la vente est susceptible d’être soumises à de telles pressions inacceptables.

 

N°5 : l’Algérie au bord du gouffre

Dans son numéro d’Afrique réelle n°135, le spécialiste de l’Afrique Bernard Lugan détaille la triple impasse politique, économique et sociale dans laquelle le régime FLN a plongé l’Algérie.

« La crise politique, sociale et morale demeure sur fond d’épuisement de la rente pétrolière et de naufrage économique… La leçon des crises des années 1986,1990 et 1994 n’a en effet pas été retenue et l’économie algérienne qui ne s’est pas diversifiée a continué à vivre sur la rente de la monoproduction des hydrocarbures qui fournissent, bon an mal an, entre 95 et 98% des exportations et environ 75% des recettes budgétaires de l’Algérie. D’où l’impasse actuelle due à l’effondrement des cours doublée de l’épuisement des réserves. »

Impasse politique d’abord : Les trois gérontes qui gèrent le « Système » semblent tous les trois arriveésau terme de leur « horloge biologique » : « fin 2020, âgé de 75 ans, le président Tebboune était hospitalisé en Allemagne, cependant que le général Chengriha, chef d’état-major âgé de 77 ans l’était en Suisse. Quant à Salah Goujil, le président du Sénat, l’homme qui devrait assumer la période transitoire en cas de disparition du président, il avait 89 ans et, lui aussi était malade. Ces trois personnages pourront-ils faire face à la terrible crise morale, économique et politique que connaît l’Algérie ? Quelle sera l’attitude de l’armée en cas d’insurrection populaire ? Voilà les deux grandes questions qui se posent aujourd’hui. »

Impasse économique et sociale ensuite : alors que l’Algérie compte 44 millions d’habitants et un accroissement naturel net de 2,15% par an de sa population, elle est au bord du gouffre après 60 ans d’incurie. Pour Bernard Lugan, la situation se présente ainsi : «

  • La baisse de la production des hydrocarbures et les variations des cours font que les recettes baissant, l’État doit donc puiser dans ses réserves de change pour financer ses importations. Or, ces réserves qui étaient d’environ 200 milliards de dollars en 2014, avant l’effondrement des cours du pétrole, n’étaient plus que de 62 milliards au début 2019 et environ 45 mds de dollars fin 2020, soit moins d’un an d’importations dont environ 9 mds de dollars pour les seuls produits alimentaires. L’importation des biens alimentaires et des biens de consommation représente actuellement environ 40% de la facture de tous les achats faits à l’étranger (Centre national de l’informatique et des statistiques-douanes-CNIS). L’agriculture et ses dérivés ne permettant de satisfaire qu’entre 40 et 50% des besoins alimentaires du pays ;
  • Recul des recettes des hydrocarbures de 16,8 mds de dollars ;
  • Baisse des exportations des hydrocarbures de 7,5%, donc des recettes annoncées, à savoir, sur la base prix actuel du baril, 20,6 mds de dollars au lieu de 37,4 mds.

Au bilan, l’insolvabilité s’annonce donc et la question économique va immanquablement faire entrer l’Algérie dans une zone de turbulences car l’État risque de ne plus être en mesure d’acheter la paix sociale ».

 

[1] Découvert en 2010, ce gisement, situé à 130 km des côtes de Haïfa, dans le nord d’Israël, renferme des ressources exploitables chiffrées à environ 605 milliards de m3 de gaz naturel.