Il aura suffi d’une remarque du co-Président de Bündnis90/die Grünen, M. Robert Habeck sur le réarmement de l’Ukraine pour que le débat sur les questions d’armement rejaillisse en Allemagne. Et il n’est pas rassurant pour la France.
En visite sur la ligne de front au Donbass, le dirigeant écologiste avait déclaré sur les ondes de la Deutschlandfunk qu’à son avis, les armes de défense et d’auto-défense pouvaient être difficilement refusées à l’Ukraine (« Waffen zur Verteidigung, zur Selbstverteidigung kann man meiner Ansicht nach, Defensivwaffen, der Ukraine schwer verwehren ») ;
Cette position a suscité plusieurs réactions, toutes négatives, mais toutes instructives :
De la part du gouvernement allemand qui a redit à cette occasion qu’il menait une politique responsable et restrictive : « Wir verfolgen eine restriktive und verantwortungsvolle Rüstungsexportpolitik und erteilen im Hinblick auf die Ukraine keine Genehmigungen für Kriegswaffen » (nous menons une politique d’exportation d’armes restrictive et responsable et ne délivrons pas de permis pour les armes de guerre à destination de l’Ukraine) ; la réaction du gouvernement est intéressante dans la mesure où elle opère nettement la distinction entre armes de guerre (= léthales, Kriegswaffen) interdites, et, en sous-entendu, équipements de défense (Rüstungsgüter), autorisés ; cette distinction se retrouve dans les rapports du Ministère de l’Économie et de l’Industrie sur le contrôle des armements : seules les premières sont comptabilisées dans les exportations (au sens français de « livraisons ») ;
De la part du Président du groupe SPD, Rolf Mützenich, gardien orthodoxe de la position pacifiste du parti sur ces sujets, pour qui la déclaration de M. Habeck démontre l’incapacité de gouvernement des Verts : « Die Forderung, der Ukraine sogenannte Abwehrwaffen zu liefern, ist leichtfertig und unterstreicht erneut, wie wenig regierungsfähig und unaufrichtig die Grünen derzeit auftreten » (la demande d’armes dites défensives à l’Ukraine est frivole et souligne une fois de plus à quel oint les verts apparaissent actuellement peu sincères et incapables de gouverner);
De son parti, par deux ténors du dossier :
Jürgen Trittin qui a rappelé le principe selon lequel le parti interdit les exportations en zone de guerre (« Waffenexporte in die Ukraine würden unserem Grundsatz widersprechen, dass wir keine Waffen in Kriegsgebiete exportieren » – Les exportations d’armes vers l’Ukraine contrediraient notre principe selon lequel nous n’exportons pas d’armes vers les zones de guerre) ;
Katja Keul qui reprendra le même argument ;
En conclusion,
Une simple déclaration, même sur une zone sensible, aura suffi à déclencher un tir de barrage : le thème des exportations d’armement est un tabou de la campagne ;
Le manifeste des Verts, rédigé sous la responsabilité de M. Habeck lui-même, publié en mars (voir infra, détails & verbatim traduit), exprime bien le principe d’une non-livraison d’armes de guerre aux pays en conflit et aux belligérants extérieurs, mais il a été peu souligné qu’il opère en réalité la même distinction que le gouvernement entre armes de guerre et équipements de défense et non entre armes défensives et armes offensives ; ce fut l’erreur de M. Habeck que d’évoquer des armes de guerre, et non simplement « des équipements de défense » ;
Il est d’ailleurs symptomatique de constater qu’en rectifiant ses propos, M. Habeck parlera d’équipements de défense (vision nocturne, aéronefs de reconnaissance, déminage, véhicules & avions de transport médical)…
Rappel : extraits du programme des Verts en date du 18 mars 2021 (page 132) sur le régime des exportations
Les exportations d’armes et d’équipements de défense vers des dictateurs, des régimes bafouant les droits de l’homme et vers les zones de guerre sont interdites (« Exporte von Waffen und Rüstungsgütern an Diktatoren, menschenrechtsverachtende Regime und in Kriegsgebiete verbieten sich. »).
Afin de réduire les exportations d’armement, nous voulons mettre en place un régime commun et restrictif de contrôle de l’Union Européenne avec des règles strictes et des options de sanctions. (« Für die Reduktion von Rüstungsexporten wollen wir eine gemeinsame restriktive Rüstungsexportkontrolle der EU mit einklagbaren strengen Regeln und Sanktionsmöglichkeiten. .”)
Des coopérations avec le secteur de la défense & sécurité des autres États afin de veiller au respect des critères démocratiques, constitutionnels et des droits de l’homme (« Kooperationen mit dem Sicherheitssektor anderer Staaten müssen an die Einhaltung demokratischer, rechtsstaatlicher und menschenrechtlicher Kriterien geknüpft warden »).
Pour le cas de l’Allemagne, nous voulons déposer un projet de loi sur le contrôle des exportations d’armement, y introduire un droit de recours collectif en cas de violations de celle-là et un régime de contrôle efficace sur l’utilisateur final (« Für Deutschland werden wir ein Rüstungsexportkontrollgesetz vorlegen und ein Verbandsklagerecht bei Verstößen gegen das neue Gesetz einführen und für eine wirksame Endverbleibskontrolle sorgen. »).
Les garanties Hermès pour les exportations d’armes ne sont pas autorisées (« Hermesbürgschaften für Rüstungsexporte darf es nicht geben. »).
En conclusion, le programme des Verts et le rappel direct de M. Habeck à la ligne dure du parti, semblent fragiliser les assurances données par ce même parti aux accords et projets franco-allemands. Notre Groupe redit que le contrat de coalition que les partis politiques allemands signeront après les élections du 26 septembre prochain seul aura force de loi pour le futur gouvernement fédéral et que dans tous les cas il s’imposera à la coopération franco-allemande. Notre Groupe s’en inquiète et considère que cette fragilité est absolument incompatible avec la politique d’indépendance que la France doit mener dans le domaine de l’exportation d’armement. La politique de défense de la France ne peut se faire au Bundestag comme elle ne se fait pas à la corbeille.