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Renforcement des prérogatives parlementaires

par | 17 mai 2021 | Newsletter

Recommandations Jean-François JALKH

12.05.2021

Contexte:

Si le Parlement a réellement à cœur d’exercer un meilleur contrôle de la Commission et s’il souhaite que ce contrôle puisse se faire hors de toute influence extérieure alors ses premiers acte devrait être de garantir véritablement l’immunité parlementaire.

Le parlementaire doit pouvoir échapper aux procédures abusives afin de conserver une pleine indépendance durant l’intégralité de son mandat.

La procédure de levée d’immunité, telle qu’elle est organisée et pratiquée au Parlement européen est loin de donner aux représentants au Parlement européen l’assurance et le soutien nécessaires.

Cette note a donc vocation à proposer des pistes de réflexion sur la manière de redonner aux députés la protection indispensable à l’exercice libre de leur mandat.

Ceci concerne :

A. Les procédures de levée d’immunité, tant en termes de procédure au sens strict qu’en ce qui touche au fond.
B. Enquête administrative interne visant les députés et/ou leurs assistants 
C. Quant au délai de prescription en matière de répétition de l’indû 
D. Quant à l’inviolabilité des députés, de leurs bureaux, de leurs moyens de fonctionnement, et de ceux mis à la disposition de leurs assistants

A.   Les procédures de levée d’immunité, tant en termes de procédure au sens strict qu’en ce qui touche au fond.

Suggestions concernant la procédure de levée d’immunité : il convient de modifier le règlement intérieur du PE et la communication faite aux membre n° 11/2019 afin de :

1.    La procédure :

Permettre au député concerné non seulement d’avoir accès au dossier de demande de levée d’immunité le concernant, en original, mais aussi de pouvoir prendre copie des pièces de celui-ci qu’il juge utile à sa défense (ce qui lui est actuellement refusé par les textes et la pratique de la commission JURI et constitue une violation de l’article 6 CEDH, lequel s’applique tant en matière civile, pénale qu’administrative).
Obliger les membres de la commission à être présents, physiquement, et singulièrement le rapporteur désigné, lors de l’audition du député concerné, en garantissant à celui-ci 15 minutes effectives, comme le prévoit le règlement du Parlement, et la communication faite aux membres précitée.
Désigné le rapporteur selon une tournante effective entre les groupes et les non-inscrits en veillant à chaque fois à ce qu’il ne soit pas un adversaire politique déclaré du député concerné. Assurer dès lors sa parfaite indépendance et sa parfaite probité. En offrant d’ailleurs au député concerné la faculté de le déjuger. Comme cela peut se faire dans tout Etat démocratique.
Faire obligation au rapporteur de rencontrer, dans son rapport, concrètement et complètement, les moyens de défense soulevés par le député concerné ou son représentant, devant la commission JURI.

Et faire, singulièrement obligation audit rapporteur, d’examiner tout à fait dans le détail l’existence ou non d’un fumus persecutionis en rencontrant dans chaque cas d’espèce chacun des critères énoncés à ce sujet par la jurisprudence de la commission et de la Cour de l’Union (alors qu’actuellement, cette question est évacuée sans répondre aux arguments du député concerné, et par une simple formule de style : « il n’y a pas de fumus persecutionis dans le cas d’espèce »).

Investir le rapporteur du rôle de secrétaire des débats lors de l’audition du député concerné, afin que ceux-ci soient transcrits comme tout débats parlementaires, sous forme de PV d’audience, et assurer la communication de ce PV au député concerné, avant décision concernant son immunité. La situation actuelle est à cet égard également contraire à l’article 6 CEDH.
Autoriser le député concerné ou son représentant à assister à la défense, par le rapporteur de son rapport, et laisser au député concerné ou à son représentant le dernier mot sur celui-ci avant le vote en commission JURI.
Autoriser en plénière, avant le vote de la levée de l’immunité, au député concerné ou à son collègue le représentant, de développer, en 10 mn, ses moyens de défenses devant l’ensemble de ses collègues. Si le député en fait la demande.

2.    Le fond :

Assurer le respect strict de l’article 8 du Protocole sur les privilèges et immunités, à savoir que dès que les faits ou les propos ou les écrits, entrent dans le cadre de l’activité parlementaire ou dans le simple cadre de son activité politique, durant la durée de son mandat, l’immunité ne peut être levée.
Assurer le stricte respect de l’article 9 du Protocole sur les privilèges et immunités, à savoir que l’existence d’un fumus persecutionis doit être débattue tout à fait concrètement et rencontrée dans les débats et par le rapporteur dans son rapport.

Dès que les poursuites sont le fruit d’adversaires politiques il doit y avoir présomption de fumus persecutionis.

B.   Enquête administrative interne visant les députés et/ou leurs assistants :

Quant à la procédure : les articles 33, 68, et 72 des MAS devraient être rédigés comme suit:

L’article 33 des MAS:

1. Les députés ont droit à l’assistance de collaborateurs personnels, qu’ils choisissent librement. Le Parlement prend en charge les frais effectivement engagés et résultant entièrement et exclusivement de l’engagement d’un ou de plusieurs assistants ou de l’utilisation de prestation de services conformément aux présentes mesures d’application et dans les conditions fixées par le Bureau. 

Il convient d’ajouter le passage suivant :

2. Les présentes mesures d’application du statut des députés ne peut être ni interprétées ni mises en œuvre, dans un sens qui serait incompatible avec l’interdiction de tout mandat impératif affirmée par le Règlement intérieur du Parlement européen, et par le Statut des députés. 

3. Seuls peuvent être pris en charge les frais correspondants à l’assistance nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés, telles qu’appréciées par le député dans le respect précité de l’interdiction de tout mandat impératif. Ces dépenses ne peuvent en aucun cas couvrir des frais liés à la sphère privée des députés.

A cet égard, les tâches confiées aux assistants parlementaires englobent l’entretien des nombreux contacts du député aussi bien en interne qu’avec l’extérieur : groupes politiques, délégations interparlementaires, services au sein du Secrétariat du Parlement, etc. ; les autorités nationales, le parti du député au niveau national, diverses organisations et associations, la société civile, etc.

La nature de ces tâches dépend de l’activité et des domaines d’expertise du député. Elles seront différentes selon que le député est investi d’un rôle particulier au sein d’un groupe politique, d’une organisation nationale ou dans la vie nationale.

3. Les frais sont pris en charge pour la durée du mandat des députés. Seuls peuvent être pris en charge les frais exposés 30 jours au maximum avant la présentation de la demande de prise en charge conformément au présent chapitre.

Le Parlement européen se réserve le droit d’effectuer, à tout moment, divers contrôles aux fins de vérifier si le travail des assistants des députés correspond aux prescriptions du présent article.

Conformément à la jurisprudence du Tribunal de l’Union, les modes de preuves admis, sont les suivants :

Concernant le nombre de preuves, trois preuves par mois suffisent.
Concernant l’auteur du document, il doit être identifié ou identifiable. 
Concernant la nature du document, le format électronique (mail) reste le plus simple à fournir, mais des notes manuscrites (brouillon, agenda, etc.) sont également valables.
Concernant l’objet du document, le document doit être directement en lien avec le   mandat du député européen.
Une attestation du député, d’un collègue, d’un cadre du parti, déclarant que l’assistant a bel et bien travaillé pour son député.

Les députés et assistants sont tenus de garder ces preuves au moins 5 ans après la fin de leur mandat et de leur contrat d’assistance parlementaire.

En effet, en matière de répétition de l’indu, la prescription de 5 ans ne vise que le délai entre l’émission de la note de débit réclamation financière adressée au député concerné, et l’exécution effective de celle-ci, le recouvrement proprement dit.

Le Parlement dispose d’un délai de 5 ans pour effectivement récupérer les sommes à compter de l’émission de la note de débit.

A défaut, sa créance est prescrite.

En ce qui concerne la prescription des poursuites, en la matière, la Cour de l’Union évacue la notion de délai de prescription, pour adopter la notion jurisprudentielle de délai raisonnable. Le Parlement européen doit agir dans un délai raisonnable contre le député concerné, dès lors qu’il a connaissance de faits répréhensibles.

Cette notion de délai raisonnable s’apprécie, au cas par cas, et peut dès lors excéder 5 ans.

4. Le montant mensuel maximal des frais pris en charge pour tous les collaborateurs personnels visés à l’article 34 est fixé à 24 943 EUR.

5. Lorsque le mandat du député ne commence pas le premier jour d’un mois ou ne se termine pas le dernier jour d’un mois, la prise en charge des frais d’assistance parlementaire pour ledit mois est calculée au prorata.

6. Le solde non utilisé du montant mensuel prévu au paragraphe 4 accumulé à la fin de l’exercice est reporté à l’exercice suivant dans la limite du montant mensuel mentionné audit paragraphe. 

L’article 68 :

« Répétition de l’indu :

1. Toute somme indûment versée en application des présentes mesures d’application donne lieu à répétition.

2. Le secrétaire général donne des instructions en vue du recouvrement de ces sommes auprès du député concerné.

3. Toute décision en matière de recouvrement est prise en veillant à l’exercice effectif du mandat du député et au bon fonctionnement du Parlement, le député concerné ayant été entendu préalablement par le secrétaire général.

 Je propose la suppression de cette fin de phrase, et son remplacement par le texte ci-dessous :

A cet égard, la procédure est la suivante :

Le député concerné est invité par la secrétaire général du parlement, et ce, par courrier recommandé avec accusé de réception, à produire les éléments de preuve du travail parlementaire de son assistant (conformément aux dispositions de l’article 33 ci-dessus).

Le courrier du secrétaire général énumère de manière précise et exhaustive les griefs qui sont faits à l’encontre dudit député.

Le député dispose d’un délai minimum de 2 mois pour répondre.

Le député et son assistant concernés, s’ils en font la demande écrite, sont entendus personnellement, et donc physiquement, par le secrétaire général du parlement, lors de la remise du dossier que le député aura constitué.
Le secrétaire général adresse au député concerné sa décision finale, dûment motivée, reprenant précisément et de façon exhaustive, les griefs qu’il retient à charge du député.

4. Le présent article s’applique également aux anciens députés et aux tiers. »

L’article 72 des MAS:

1. Comme on l’a vu à l’article 68 ci-dessus, un député qui estime que les présentes mesures d’application n’ont pas été correctement appliquées à son égard par le service compétent peut adresser une réclamation écrite au secrétaire général.  La décision prise par le secrétaire général quant à la réclamation précise les motifs sur lesquels elle est fondée.

2. En cas de désaccord avec la décision du secrétaire général, le député peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ladite décision, demander que la question soit renvoyée aux questeurs, qui prennent une décision après consultation du secrétaire général, et après l’audition personnelle du député concerné et de son assistant, s’ils en font la demande écrite. 

3. En cas de désaccord avec la décision adoptée par les questeurs, une partie à la procédure de réclamation peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision des questeurs, demander que la question soit renvoyée au Bureau, qui prend une décision finale, après avoir entendu personnellement le député concerné et son assistant, s’ils en font la demande écrite.

4.    La procédure de recours interne est suspensive.

5. Le député concerné peut également, et dès la prise de décision du secrétaire général à son encontre, saisir, dans un délai de 2 mois, le Tribunal de l’Union, d’un recours en annulation de ladite décision.

6. Le présent article s’applique également aux ayants droit du député, ainsi qu’aux anciens députés et à leurs ayants droit. »

C.   Quant au délai de prescription en matière de répétition de l’indû :

Force est de relever qu’ en droit pénal national

Le délai prescription de l’action publique court à compter de la commission des faits, et à la fin du dernier acte commis en cas de délits continus.

Tandis qu’en droit de l’Union européenne :

À l’égard des députés européens :

En la matière de répétition de l’indu à charge des députés européens, si l’on parle de prescription de 5 ans, celle-ci ne vise que le délai entre l’émission de la note de débit réclamation financière adressée au député concerné), et l’exécution effective de celle-ci, le recouvrement proprement dit.

Le Parlement dispose d’un délai de 5 ans pour effectivement récupérer les sommes à compter de l’émission de la note de débit.

A défaut, sa créance est prescrite.

En ce qui concerne la prescription des poursuites, en la matière, la Cour de l’Union évacue la notion de délai de prescription, pour adopter la notion « jurisprudentielle » de délai raisonnable. Le Parlement européen doit agir dans un délai raisonnable contre le député concerné, dès lors qu’il a connaissance de faits répréhensibles.

Cette notion de délai raisonnable s’apprécie, au cas par cas. Comme on va le voir dans l’arrêt MARCHIANI, qui est un arrêt de principe en la matière, un délai de 9 ans pour réclamer l’indu, à compter de la prise de connaissance des faits par le Parlement, n’est pas considéré par le Tribunal de l’Union, comme dépassant le délai raisonnable.

Enfin, le dépassement du délai raisonnable par le Parlement, pour émettre la note de débit et donc agir contre le député concerné, n’entraîne nullité de la décision du Secrétaire général que si ce dépassement a pour conséquence une violation des droits de la défense dudit député. C’est-à-dire si le temps passé ne lui permet plus de se défendre (voir à tous ces égards : PANZERI C/ Parlement européen, Tribunal de l’Union, 18 mai 2017, T-166/16, points 31 à 38 ; MARCHIANI C/ Parlement européen, Tribunal de l’Union, T-479/13, points 70, 74, 81, 82, 85, 86, 87, et 88).

A l’égard des fonctionnaires de l’Union européenne, et des APA qui leur sont assimilés :

Le Statuts de la fonction publique de l’Union prévoit un délai de prescription de 5 ans qui commence à courir à compter du jour où la somme faisant l’objet de la répétition de « l’indu » a été versée (article 85, alinéa 2, du Statut).

En effet : «la modification du statut avait été rendue nécessaire, dès lors que, précisément, la sécurité juridique ne peut être assurée que si le délai de prescription est fixé d’avance, et que sa durée et ses modalités d’application relève de la compétence du législateur de l’Union européenne (CJCE, 2 octobre 2003, International Power C/ Commission, C-172/01 P, C-176/01 P, et C-180/01 P) » (Ezio PERILLO et consorts, Le Statut de la fonction publique de l’Union européenne, p. 401, Bruylant, Bruxelles, 2017).

Nous noterons qu’il y a là violation, par la Cour de l’Union, dans sa définition jurisprudentielle du délai de prescription en répétition de « l’indu » à charge des députés européens, par rapport au régime de prescription applicable aux fonctionnaires et donc aux assistants parlementaires européens, d’une règle de droit fondamentale de l’Union, à savoir le respect du principe d’égalité, du principe de non-discrimination.

Il convient donc de prévoir dans les MAS un délai de prescription des poursuites, au profit des député, de 5 ans, à compter des faits.

Il convient également de prévoir la compétence exclusive de la Cour de l’Union avec pouvoir de pleine juridiction comme cela est le cas pour les fonctionnaires et les APA.

D.   Quant à l’inviolabilité des députés, de leurs bureaux, de leurs moyens de fonctionnement, et de ceux mis à la disposition de leurs assistants :

Il convient de modifier le règlement intérieur du Parlement européen (qui a rang de traité) en affirmant que les bureaux des députés au Parlement européen, ceux de leurs assistants, et l’ensemble des moyens mis à leur disposition, qu’ils soient privés ou qu’ils appartiennent à l’institution, bénéficient de l’inviolabilité, et ne peuvent donc faire l’objet d’enquêtes, de saisies de données, etc. de la part des services de Parlement européen ou de l’OLAF, hors la présence du député concerné, de celle du président du Parlement européen, et moyennant un mandat d’une autorité judiciaire indépendante.