Tribune de Mme Annika Bruna
Député Français au Parlement européen
Les ruptures d’approvisionnement en médicaments s’aggravent d’année en année. Les signalements, comportant les ruptures ou les risques de ruptures, concernaient plus de 3000 médicaments en 2022 contre 44 médicaments en 2008. C’est près de 70 fois plus !
Selon un sondage de France Assos Santé, réalisé par l’institut BVA, 29 % des français ont déjà été affectés par une pénurie de médicaments. Parmi les personnes touchées, 45 % ont été forcées de reporter leur traitement, de le modifier ou de l’arrêter.
Les molécules les plus courantes sont concernées par les ruptures : le paracétamol (Doliprane, Dafalgan, Efferalgan, etc.), les antibiotiques et les antidouleurs mais aussi les traitements contre le cancer ou contre Parkinson. Les anti-inflammatoires et les médicaments contre le diabète et l’asthme (ventoline) sont également sous tension.
Quoi de surprenant quand on constate la délocalisation massive de la production pour réduire les coûts et surtout gonfler les dividendes des laboratoires !
Désormais, ce sont environ 80 % des principes pharmaceutiques actifs (PPA) qui sont produits en Asie, notamment en Inde et en Chine.
Notre approvisionnement est donc fragilisé par les incidents industriels, politiques, sanitaires et économiques qui secouent ces pays. Ainsi, il y a quelques semaines, la fin du « Zéro Covid » en Chine, en entraînant une forte épidémie et donc une hausse de sa consommation domestique de médicaments, a fortement impacté les chaînes d’approvisionnement mondiales.
Le résultat, c’est que lors d’épidémies de virus hivernaux, grippes et bronchiolites en tête, auxquels s’ajoute aujourd’hui le Covid 19, nos pharmacies sont rapidement saturées par la demande.
Certains patients, atteints du cancer, décèdent parfois ou subissent de graves séquelles suite à des pénuries à répétition de leurs traitements ! Celles-ci touchent également les médicaments pédiatriques tels que l’amoxicilline (antibiotique) ou les formes pédiatriques du paracétamol (sous forme de sirop ou de suppositoire).
Autre constat : certains médicaments produits à l’étranger ne sont pas conformes avec nos règles sanitaires, voire falsifiés. C’est ainsi qu’en 2018, on a découvert que certains médicaments antiulcéreux à base de ranitidine, fabriqués en Inde et en Chine, contenaient une impureté classée comme cancérogène probable pour l’homme : la N-nitrosodiméthylamine (NDMA).
Ces problèmes de pénuries et de malfaçons ne sont pas insurmontables. Mais il est indispensable et urgent de relocaliser la production des médicaments dans notre pays. Cette relocalisation ne pourra cependant s’opérer que si des mesures énergiques sont prises.
Entamer un bras de fer avec l’industrie.
Le marché français et plus largement le marché européen sont de véritables mines d’or pour les laboratoires pharmaceutiques en raison d’une consommation et d’une solvabilité toutes deux élevées.
Il est temps de conditionner l’accès à nos marchés à une relocalisation significative de la production pharmaceutique :
1 – En imposant aux laboratoires de relocaliser en France toutes les étapes de fabrication des molécules anciennes, pour le moment importées de l’étranger.
Pour ce faire, toutes les nouvelles molécules, par définition plus lucratives pour les laboratoires, ne doivent pouvoir accéder à notre marché qu’en échange d’un maintien ou d’une relocalisation de la fabrication des molécules anciennes dans notre pays, telles que le paracétamol.
2 – En participant au financement de la production en France ou en Europe de ces molécules anciennes, moins rentables pour les laboratoires.
Le cas échéant, il reviendrait à la puissance publique de développer la production de médicaments génériques par des opérateurs publics ou privés sous contrats.
3 – En traduisant en justice les laboratoires qui organisent volontairement des pénuries pour augmenter les prix. Ces laboratoires indélicats doivent être condamnés à de lourdes amendes.
Mais au-delà, il faut que la justice puisse ordonner la déchéance de leurs brevets car la propriété intellectuelle et industrielle n’a pas vocation à protéger des « accapareurs ».
Investir pour notre indépendance sanitaire.
Qui paie, commande. L’État a oublié ce principe et ne semble pas se soucier de l’efficacité de ses interventions. Il faut au contraire contrôler si l’argent public est correctement utilisé :
1 – En conditionnant les aides publiques versées aux laboratoires au maintien des sites de production et des emplois sur le territoire français. Et en exigeant le remboursement de ces aides si cette condition n’est pas respectée !
2 – En entrant dans le capital de certains laboratoires afin d’orienter leurs investissements vers notre pays. Ce qui nécessitera bien sûr de provisionner des fonds suffisants, le cas échéant en s’alliant avec d’autres pays européens.
3 – En créant, en fonction des disponibilités, une réserve de médicaments pour pallier aux situations d’urgence.
Vers une action concertée au sein de l’Union européenne ?
Certaines coopérations au sein de l’Union européenne permettraient de faire front commun face aux laboratoires :
1 – En interdisant, à l’échelle européenne, les ventes par internet de médicaments, afin de réduire notamment l’inflation qui les touche, internet permettant de maximiser les profits en fléchant les ventes vers l’acheteur le plus offrant.
Surtout, cela permettrait de stopper les dégâts causés par les « influenceurs ». Par exemple, le traitement contre le diabète « Ozempic » est entré en pénurie lorsque des influenceurs ont prétendu, à tort ou à raison, qu’il permettait de perdre du poids.
2 – En assurant une transparence complète des médicaments de leur fabrication à leur vente. Ce qui induit un étiquetage scrupuleux sur leur lieu de production et leur lieu de vente (afin d’éviter les cessions transfrontalières successives).
« Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure ».
La France, pays de Louis Pasteur, était encore il y a quelques décennies une grande puissance pharmaceutique. Les tenants de la mondialisation et de l’ouverture des marchés ont brisé cet avantage compétitif comme ils l’ont fait pour le nucléaire, l’automobile ou encore l’agriculture.
Aujourd’hui, eux-mêmes sont obligés de reconnaître leur faute, comme en témoigne la volonté affichée du Président Macron de relocaliser la production des médicaments essentiels.
Loin de tout triomphalisme, le Rassemblement National déplore d’avoir eu, encore une fois, raison avant tout le monde. Car même en s’en donnant les moyens, relocaliser sera bien plus difficile que de délocaliser…