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Le prix de l’indépendance

par | 8 juillet 2020 | Newsletter

« Tout l’art de la politique est de se servir des conjonctures » disait Louis XIV. Comment ne pas voir la prolongation de cette maxime en examinant de près l’actualité, comme cette lettre, première d’une longue série, se propose de le faire chaque mois ? En matière de défense, outil roi de l’indépendance et ultima ratio de la diplomatie, trois conjonctures contemporaines démontrent hélas l’impéritie française. 

Première conjoncture : le danger turc en méditerranée orientale. Nihi novi sub sole puisque dès les temps modernes, le turc était l’ennemi de la chrétienté et avait amené l’Ordre de Malte et Venise à lutter contre lui sans pitié. De retour sur les eaux que ses pirates ont écumées, le Turc, non content de briser un embargo des Nations-Unies, menace désormais la France par le biais de sa Marine : le radar de la conduite de tir de la Oruç Reis (une corvette turque de conception…allemande) a illuminé la frégate Courbet, manœuvre précédant de près le départ d’un missile. L’incident n’est pas seulement grave entre soi-disant alliés de l’OTAN : il est surtout délibéré, puisqu’il est prouvé que cet incident ne fut pas le premier et que les amiraux turcs ont dit clairement, devant leurs homologues français, qu’ils n’hésiteraient pas à tirer. Qu’en retenir? Tout simplement que la solidarité de l’Europe et de l’OTAN n’existe pas : alors que la Marine a apporté des preuves sans appel au commandement otanien de l’opération, l’OTAN et nombre de pays européens ont tergiversé. Au lieu de retirer la Marine du dispositif naval, le gouvernement français aurait dû se concerter avec ses vrais alliés – Grèce, Chypre, Egypte et Emirats Arabes Unis (EAU) – et leur proposer d’en renforcer la présence tout en avertissant le turc qu’au prochain incident, la Marine recevrait l’ordre de tirer. Se retirer de l’opération de l’OTAN, c’est accepter la lâcheté de l’OTAN. Quitte à se retirer, la politique de la chaise vide à l’OTAN eût été plus responsable et plus convaincante. Quitte à se plaindre, autant en assumer la conséquence jusqu’au bout : la révision de toutes ses alliances à l’aune de cette crise. Par cette fermeté, elle aurait gagné en influence et démontré que la Méditerranée est aussi SA mer. La fermeté, c’est le prix moral de l’indépendance.

Deuxième conjoncture : le projet de vente de deux frégates d’intervention à la Grèce, actuellement menacé pour des raisons à la fois financières et diplomatiques (pression américaine, elle-même probablement liée aux pressions turques sur Washington). Ce projet est stratégique pour soutenir nos alliés qui, à Chypre et en Grèce, subissent depuis des années le diktat turc par l’intrusion dans leurs domaines maritimes. L’alliance avec ces deux pays doit être relancée au plus vite pour dépasser le mauvais cap actuel : il faut que Paris accepte un financement plus généreux et qu’Athènes ache enfin où est son intérêt stratégique. Il faut donc aller plus loin que les actuelles manœuvres : la relation avec notre sœur méditerranéenne doit désormais s’inscrire dans des accords de défense aussi poussés que ceux qui nous lient avec les EAU, par exemple : toute attaque sur l’une d’elle est une attaque contre les intérêts français et sera donc sujet à rétorsion. Le Turc ne connaissant que le langage de la fermeté, diplomatique et militaire, cette voie, seule, s’impose : elle est au demeurant soutenue par le droit des gens. La Turquie ne prospérant qu’avec la lâcheté de l’OTAN et de l’UE, il faut donc bâtir une nouvelle alliance, comme en 1571 à Lépante. Celle du droit des gens contre la politique du coup de force permanent. Celle de l’Occident chrétien contre la Turquie des frères musulmans. Contrairement à Ankara, Paris n’est pas isolée : Athènes, Nicosie, Madrid, Le Caire, Abu Dhabi et même Rome (secrètement) veulent mettre un frein au désordre que la Turquie provoque partout : dans les flux de migration, de terrorisme, dans les forages en Méditerranée, en Syrie et désormais en Libye. L’audace, c’est le prix diplomatique de l’indépendance.

Troisième conjoncture : le plan de relance. D’un montant trop léger pour être crédible – 833 millions € – quand celui de 2009 en prévoyait 2,4 milliards €, alors même que la crise est jugée plus sévère et plus profonde que celle de 2008. Ce n’est pas reprendre « les arguments du patronat de l’industrie de défense » comme un journaliste français a pu le dire avec légèreté que d’affirmer cela : c’est la stricte vérité. Vérité économique et de bon sens que de dire les sociétés duales (elles le sont presque toutes) doivent compenser l’effondrement durable du trafic aérien par des commandes de défense, qui est un stabilisateur économique évident ; vérité que de dire que les sociétés purement défense (Netxer, Arquus, Naval group et MBDA) doivent aussi, par la commande d’Etat, compenser la baisse de 30 à 50% de leurs commandes export. La diplomatie sans armée (et sans industrie de défense) n’étant qu’une musique sans instruments, il faut bâtir un grand plan de relance pour le secteur de l’armement pour soutenir nos options diplomatiques et militaires en ces temps de confusion. Industrie non délocalisable, offrant des emplois très qualifiés et irriguant en profondeur le tissu industriel national, l’industrie d’armement mérite une attention au moins aussi particulière en France que celle dont bénéficie son homologue allemande (10 milliards € de programmes lancés le 17 juin au Bundestag). M. Macron et Mme Parly n’ayant rien de trouvé plus honnête que de placer les hausses de crédit budgétaires après leur mandat présidentiel (2023 à 2025), il convient d’avancer celles-ci dès la prochaine LFI et ce jusqu’en 2022. La recapitalisation de l’Outre-mer français – en déshérence depuis tant d’années – s’offre comme un champ d’application de cette politique de relance : patrouilleurs à la série allongée (de 6 à 12), drones navals, Falcon Albatros, chalands supplémentaires – afin de contrer un autre pays menaçant nos intérêts : la Chine qui influence Madagascar dans ses revendications territoriales ; les stocks de munitions (et notamment complexes) sont aussi un domaine privilégié, et s’il fallait un domaine hors Loi de Programmation Militaire à rendre prioritaire, ajoutons le lancement d’un programme d’hélicoptères lourds afin que l’armée de terre ait enfin l’allonge nécessaire à ses opérations de projection. Il ne serait pas inutile non plus d’en profiter pour accéder à ce que la Marine réclame à juste titre : 18 frégates de premier rang, chiffre nécessaire pour tenir la permanence dans des théâtres-clés : Méditerranée, Mer rouge et Pacifique. Un modèle d’armée bien financé, c’est le prix budgétaire de l’indépendance.

Oui, la politique est l’art de servir des conjonctures pour afficher et atteindre des buts clairs : qui n’en voit aujourd’hui l’actualité ? La politique du « en même temps » chère à M. Macron et exécutée par Mme Parly, ne mène qu’à la politique du chien « crevé au fil de l’eau ». Elle conduit à l’humiliation de notre pays sur la scène internationale, la fin d’une certaine idée de la France, et la perte des nombreux atouts d’un secteur d’excellence.