Annoncée par la radio militaire israélienne le 23, la visite de M. Netanyahu en Arabie saoudite le 22 au soir illustre clairement les deux messages que les deux pays ont voulu faire passer avant la mise en place progressive de l’Administration Biden.
Le premier message n’est pas nouveau mais il a le mérite désormais de la transparence : Israël et l’Arabie n’hésiteront pas à s’allier en cas d’agression iranienne.
Pour Israël, la stratégie est constante : éviter que l’Administration américaine, quelle qu’elle soit, ne dévie de sa stratégie de containment de l’Iran. La présence à Riyad de Yossi Cohen, ancien conseiller à la sécurité nationale du Premier Ministre et désormais directeur du Mossad montre que c’est bien là une politique assumée, non d’un homme mais d’un État. Notons toutefois que cette visite s’est montée à l’insu du ministre de la Défense, le général Benny Gantz, ancien CEMA de Tsahal. C’est là une double illustration d’une part que l’armée est tenue à l’écart de la politique de normalisation avec les pays arabes (à laquelle elle est opposée par crainte d’un surarmement qualitatif de ces États par les États-Unis) et que d’autre part Gantz (voir au-dessus) et Netanyahu sont à couteaux tirés (sur la scène politique israélienne et tout récemment notamment en raison de la corruption supposée de Bibi dans le dossier d’acquisition des sous-marins allemands).
Les Salman partagent naturellement cette hantise iranienne ; les Houthis revendiquent presque chaque semaine des tirs de missiles sur des localités ciblées (port de Djeddah hier) et ont largement communiqué sur la prochaine génération de missiles qui mettrait Eilat (Mer rouge) à leur portée. L’Arabie de MbS a compris que son image était dégradée aux États-Unis et que tous les lobbyistes de M-street ne suffiraient pas à redresser cette image : s’associer avec Israël est donc un moyen jugé fiable de créer des liens avec l’Administration Biden qui lui est hostile et d’étayer le statut de MbS, remis en cause clairement par le candidat démocrate lors des élections.
La présence de Mike Pompeo à la réunion saudo-israélienne véhicule un message encore plus limpide : celui d’une continuité nécessaire dans la stratégie de Trump d’isoler l’Iran par tous les moyens. C’est évidemment le message le plus important, l’Iran ayant compris depuis longtemps (les visites secrètes israéliennes en Arabie remontent au minimum à 2017) qu’Israël ne serait pas son seul adversaire.
Les mots de Biden envers MbS sont connus ; ceux de son équipe à venir moins. Notons que la visite israélienne en Arabie est intervenue juste AVANT la nomination de l’équipe de politique étrangère de Biden
Anthony Blinken, secrétaire d’État désigné (mais à confirmer par le Sénat début 2021), est un allié d’Israël : adversaire déclaré de la campagne dite BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) lancé par les Palestiniens, il estime que l’aide militaire américaine ne peut être soumise à une quelconque condition…mais sur le reste, ses positions n’ont pas rassuré : en faveur des printemps arabes, c’est-à-dire de mises en place de régime à dominante Frère musulmans. Il est également partisan d’un nouvel accord nucléaire avec l’Iran pour le rendre durable et plus sûr.
Cette ligne est également assumée par le conseiller à la sécurité nationale du President-elect : déjà en poste à cette fonction lorsque Biden était Vice-Président d’Obama ; voilà désormais Jack Sullivan au cœur de l’Administration. Sullivan est l’homme de la diplomatie souterraine avec l’Iran via Mascate, plaque tournante des négociations ayant abouti à l’accord 5+1. Hostile au retrait américain du 5+1 et à la campagne de maximal pressure contre Téhéran, il plaide pour un nouvel accord mieux encadré. Il n’est pas non plus totalement étranger aux propos très durs de son patron sur l’Arabie…
Choix d’Hilary Clinton en 2016 pour le poste de secrétaire d’Etat à la Défense, Mme Michele Flournoy n’a pas, quant à elle, les hésitations de son collègue du DoS : sanctions à l’Iran et ventes d’armes à l’Arabie sont les deux axes de sa politique dans le Golfe. Ce n’est pas pour rien que son think tank « the Center for a new American Security » a pour donateurs la plupart des sociétés de défense.
L’équilibre de ces positions entre elles et la synthèse qu’on fera ou non le futur Président peuvent nourrir quelques doutes à Tel-Aviv et à Riyadh. Ce qui justifiait largement aux yeux des deux capitales d’envoyer, avec ce voyage faussement secret de Netanyahu auprès de MbS, ces deux messages clairs. Seront-ils entendus à Washington ? C’est la question à surveiller dans les prochains mois.