Annika Bruna
Député français au Parlement européen
Membre des commissions Libertés civiles, Justice et Affaires intérieures,
et Droit des femmes et égalité des genres,
Membre de l’intergroupe Bien-être et protection des animaux.
La convention d’Espoo, adoptée en 1991 et réunissant 45 États, a été ratifiée par la France le 15 juin 2001[1], sous le gouvernement Jospin, qui réunissait alors tous les partis de gauche dans sa majorité et dont le Ministre de l’Environnement n’était autre que l’écologiste Dominique Voynet.
Récemment, l’implication de cette ancienne Ministre, dans la fermeture de Superphénix et dans la défense pour le moins piteuse du nucléaire français auprès des institutions européennes[2], a fait l’objet de polémiques.
Mais il semblerait que le bilan de la « gauche plurielle » dans l’affaiblissement du nucléaire français soit voué à s’alourdir.
Une nouvelle épine dans le pied pour le nucléaire français.
S’agissant de la convention d’Espoo, ratifiée également sous le gouvernement Jospin, elle a pour objet l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière.
Il s’agit donc d’éviter que les activités industrielles d’un État entraînent des nuisances aux États voisins, ce qui serait une bonne chose si cette convention ne contrevenait pas une nouvelle fois à nos intérêts vitaux en matière énergétique.
En effet, le Comité d’application de cette convention a ouvert, le 23 septembre 2023, une procédure contre la France[3], suite à sa décision de prolonger la durée de vie de 32 réacteurs nucléaires, dans le but de ne pas manquer d’électricité dans les années à venir.
Il est notamment reproché à notre pays de ne pas avoir fait d’étude d’impact environnementale et de ne pas avoir consulté les pays voisins.
Ce Comité a été saisi en 2020 par Greenpeace qui affirme que la France procède à cette prolongation « sans étude d’impact environnementale et sans consultation transfrontière des pays voisins ».
En outre, l’Italie, par une lettre du 14 janvier 2021, s’est déclarée concernée par la prolongation des réacteurs français, en raison de leur proximité avec ses frontières.
La Cour de Justice de l’Union européenne pourrait entrer dans la danse.
En juillet 2019, dans une affaire similaire, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) estimait que la prolongation de l’exploitation des réacteurs belges de Doel devait être précédée d’une évaluation environnementale prévue par la directive EIE[4].
Toutefois, la Cour estimait également que la directive EIE autorisait un État à déroger à cette évaluation des incidences sur l’environnement s’il démontrait un risque pour la sécurité de l’approvisionnement en électricité « raisonnablement probable » et si le projet présentait un caractère d’urgence justifiant l’absence d’une telle évaluation.
En outre, dans une lettre adressée au comité, le gouvernement français a indiqué, à notre sens à bon droit, que les travaux effectués sur ses réacteurs ne sont pas susceptibles d’avoir un impact transfrontière.
Cependant, en cas de litige, la CJUE risque d’imposer une application stricte de la convention d’Espoo, celle étant par ailleurs reconnue dans le règlement européen n°347/2013 qui régit les orientations des infrastructures énergétiques transeuropéennes.
La procédure intentée par le Comité d’application de la convention d’Espoo tombe donc au plus mal puisque la crise énergétique s’installe durablement en Europe et que les prix de l’énergie sont structurellement devenus élevés depuis quelques années, avant même le déclenchement du conflit ukrainien.
Il va de soi que notifier une étude d’impact à nos voisins européens ne règlera pas la situation car certains États européens ont tout intérêt à voir disparaître le nucléaire français qui assure à nos industries des tarifs plus compétitifs.
Ces adversaires du nucléaire français pourraient donc se servir de cette procédure dans le cadre des négociations ardues, menées en ce moment dans les institutions européennes, pour détruire l’avenir de cette filière d’excellence.
Une bombe à retardement posée par la gauche.
Il semblerait donc qu’une nouvelle fois, la gauche ait utilisé le système du cliquet, système par lequel elle verrouille ses prises de décision en les faisant acter par l’adhésion ou la ratification à une convention internationale. Cela lui permet de continuer à imposer sa volonté, même après avoir perdu les élections, les cours et tribunaux internationaux se chargeant de faire perdurer des décisions nocives pour notre pays.
Déjà qualifiée à juste titre par mon collègue Michel Guiniot « d’atteinte flagrante à la souveraineté nationale »[5], la Convention d’Espoo apparaît donc pour ce qu’elle est : une bombe à retardement, posée par la gauche et les écologistes en 2001, qui pourrait frapper à nouveau notre filière nucléaire. Le seul choix qui s’impose est donc de dénoncer cette convention ou de la renégocier afin d’en exclure, à tout le moins, la prolongation des centrales nucléaires existantes.
[1] https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XXVII-4&chapter=27&clang=_fr
[2] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceindener/l16ceindener2223039_compte-rendu#
[3] https://unece.org/sites/default/files/2023-09/ece_mp.eia_ic_2023_8_as_adv_copy.pdf
[4] https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2019-07/cp190100fr.pdf
Directive EIE : Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1)
[5] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/deputes/PA794734/interventions?page=2&limit=12