Annika Bruna
Député Français au Parlement européen
La fin programmée du moteur thermique d’ici 2035 aurait du sens si la transition technologique et énergétique était parfaitement anticipée et maîtrisée par l’Union européenne et ses États membres.
Mais ce n’est pas le cas. Dans les « hautes sphères », l’impréparation, aggravée par la guerre en Ukraine, domine largement, ce qui confronte notre industrie à trois risques :
– Une addiction aux matières premières qui nous expose aux risques géopolitiques ;
– La fragilisation de l’industrie automobile européenne face à la concurrence étrangère ;
– Le risque de pénuries d’électricité.
À l’inverse d’une Union européenne qui fonce droit dans le mur en klaxonnant, il faut au contraire privilégier des solutions pragmatiques fondées sur un principe clef : la diversification des motorisations.
Une addiction aux matières premières qui nous expose aux risques géopolitiques.
Alors qu’environ 10 % des voitures neuves vendues sont électriques, les métaux et minerais rares sont principalement extraits de pays tiers. L’Australie, le Chili, la République Démocratique du Congo et la Chine sont les principaux producteurs de lithium, de cobalt et de graphite.
Mais la Chine, à elle seule, produit les trois quarts des batteries à lithium-ion, très majoritaires sur le marché, et contrôle environ la moitié des capacités mondiales de raffinage du lithium mais aussi de cobalt.
Cette dépendance face à la Chine est en passe de s’aggraver puisqu’on devrait passer d’une production de 86 000 tonnes de lithium en 2019 à plus de 2 millions de tonnes d’ici 2030.
L’Union européenne, en raison de l’aversion environnementale de sa population pour l’extraction minière, dépend donc totalement des pays tiers et singulièrement de la Chine pour s’approvisionner en lithium. Comme cette extraction et le raffinage sont concentrés dans quelques pays, cela amplifie également les ruptures d’approvisionnement liées aux catastrophes naturelles, aux pandémies et aux conflits géopolitiques…
Pire encore, la demande en voitures électriques augmentant considérablement, certains experts estiment que 24 % de la demande en lithium pourrait se retrouver non pourvue à l’horizon 2035.
Enfin, cette incroyable dépendance de l’Union européenne est aussi une conséquence directe de la volonté de délocaliser les dégâts environnementaux de l’extraction dans des pays tiers.
Mais les faits sont têtus : les métaux rares sont principalement extraits de carrières ou de mines à ciel ouvert qui détruisent de vastes zones forestières ou agricoles dans les pays où elles sont exploitées.
Comme ces métaux ont un très faible niveau de concentration, il faut souvent extraire des dizaines de tonnes de minerais pour récolter un seul kilo de métaux rares. Ces minerais sont broyés et traités chimiquement, en consommant une très grande quantité d’eau polluée par du chlore, des acides et des solvants…-
Cette eau polluée, souvent rejetée dans les cours d’eau voisins, contamine à son tour la flore, la faune aquatique et les sols. Au final, elle met donc également en danger la santé des habitants des bassins hydrographiques concernés.
Ajoutons à cela que l’extraction des métaux rares nécessite également de découper des roches, ce qui consomme souvent beaucoup d’énergie. En Chine, cette énergie provient essentiellement du charbon et du gaz, engendrant ainsi un bilan carbone calamiteux.
Cette pollution de l’eau et de l’air explique que beaucoup de projets d’extraction en Europe, au Portugal et en Serbie notamment, ont été violemment rejetés par la population.
Qu’il soit donc bien clair que la voiture électrique ne fait le bonheur des occidentaux que parce qu’elle fait aussi le malheur des populations du grand Sud…
L’Union fragilise son industrie face à la concurrence étrangère.
Le contrôle des matières premières échappant à l’Union, il sera difficile de devenir compétitif sur un marché où le concurrent chinois maîtrise toute la chaîne de production, de l’extraction des minerais à la fabrication de batteries et de véhicules.
C’est pourquoi la décision du gouvernement français de porter le bonus écologique des véhicules électriques jusqu’à 7000 euros pour les ménages modestes en 2023 est surprenante, d’autant que les hybrides rechargeables en sont exclus. Le bonus de 1000 euros sur ces derniers est purement et simplement supprimé en 2023.
Nous allons donc subventionner des produits fabriqués à l’étranger et retirer les aides aux véhicules hybrides que nous produisons pourtant sur notre sol. En effet, en 2022, le marché des hybrides rechargeables représentait 8,3 % des immatriculations et les constructeurs français se positionnaient en leader des ventes avec les Peugeot 3008 Hybrid (10 729 exemplaires) et 308 (6655 exemplaires), la Citroën C5 Aircross (6636 exemplaires), sans oublier la Renault Captur (2491 exemplaires).
Toutefois, parce qu’elle demeure émettrice de gaz à effet de serre, cette technologie sera également visée par l’interdiction à la vente à l’horizon 2035…
L’Union européenne et la présidence Macron, après avoir durement cogné les constructeurs français en frappant le diesel, réitèrent l’opération avec les véhicules hybrides. Le tout au seul profit des constructeurs étrangers.
Et malgré ce « volontarisme », il devient pourtant de plus en plus difficile pour les plus modestes d’acquérir des véhicules électriques, dont les prix sont toujours élevés, dans un contexte où la récession économique et l’inflation grèvent fortement leur pouvoir d’achat.
D’autant que le principal avantage des voitures électriques résidait dans la réalisation d’économies en carburant suffisamment importantes pour compenser le coût d’achat.
Cet avantage se volatilise sous nos yeux depuis que les prix de l’électricité ont explosé, en raison de la guerre en Ukraine et d’un marché européen de l’énergie complètement aberrant.
L’Union de l’énergie devient-elle une Union de la pénurie ?
La voiture électrique nécessite deux dispositifs pour fonctionner : des bornes de recharges en électricité et … de l’électricité. Dans ces deux domaines, l’Union européenne et les États membres n’ont pas non plus fait preuve d’une grande prévoyance.
En effet, si l’on veut réellement remplacer toutes les voitures thermiques, il faut installer des millions de bornes de recharge.
Plus grave, les tarifs de l’énergie augmentent irrésistiblement depuis 2021, avant même la guerre en Ukraine.
Déjà, au Royaume-Uni, il est envisagé que le prix d’une recharge électrique sur une borne publique puisse parfois dépasser celui d’un plein d’essence, à moins que ce pays ne mette en place un bouclier tarifaire.
En Suisse, lorsque le risque de coupures de courant était jugé élevé fin 2022, la confédération envisageait de limiter la circulation des voitures électriques à certains trajets absolument nécessaires.
Impossible de ne pas constater que le choix, dans de nombreux pays européens et singulièrement en France, d’abandonner le nucléaire et de privilégier des énergies intermittentes, principalement éoliennes et photovoltaïques, est en grande partie responsable de cette situation sur le marché de l’électricité.
De fait, le nucléaire demeure une énergie de transition indispensable, le temps de développer des sources d’énergie moins dangereuses. Nous savons aussi que la géothermie, l’hydroélectricité et l’énergie marémotrice ne sont pas suffisamment développées, alors que leur potentiel est immense.-
Sur le nucléaire, la présidence Macron a opéré une brusque marche arrière qui restera dans les annales et qui illustre magnifiquement cette citation d’Edgar Faure : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ».
Reste à savoir si la présidence Macron et ses successeurs résisteront à l’hostilité manifeste de l’Allemagne contre le nucléaire. En effet, au sein de l’Union européenne, ce pays et ses relais cherchent constamment à exclure cette énergie de la taxonomie verte. Taxonomie qui, rappelons-le, permet de flécher ou non les financements vers certains investissements énergétiques.
La diversification, seule manière de reprendre le contrôle du véhicule !
La volonté de l’Union européenne et de la présidence Macron de développer des « gigafactories » (usines de batteries) afin de retrouver une souveraineté technologique paraît de prime abord positive. C’est oublier qu’il faut d’abord augmenter considérablement notre production électrique avant de pouvoir charger les batteries des millions de véhicules électriques censés remplacer le parc automobile actuel, essentiellement thermique.
En réalité, le « tout électrique » dénote une vision étriquée, simpliste et idéologique du problème. La véritable solution réside dans la diversifications des motorisations.
Cette diversification est d’emblée indispensable pour continuer à développer les recherches des constructeurs dans toutes les directions, sans se couper d’aucune opportunité.
Mais surtout, la diversification des motorisations est de nature à réduire fortement notre exposition aux risques géopolitiques qui touchent aujourd’hui le pétrole et le gaz, demain le lithium, le nickel et le cobalt, après-demain l’uranium ?
C’est pourquoi Marine Le Pen s’est courageusement opposée à la fin des véhicules thermiques d’ici 2035 et a proposé que les voitures hybrides entrent dans la liste des véhicules propres.
Elle a également proposé un prêt de 1000 euros au profit des consommateurs qui équiperaient leur véhicule avec un boîtier de conversion éthanol, afin de rouler à l’éthanol, à l’essence sans plomb ou au mélange des deux.
Il ne faut pas non plus enterrer trop vite l’essence et le diesel, sur lequel nos constructeurs ont fait énormément de progrès pour réduire la pollution.
Le diesel n’étant rien d’autre qu’un fioul léger, issu du raffinage du pétrole, il présente aussi l’avantage d’être disponible en abondance et doit donc prendre sa part du parc automobile pour participer à la diversification des carburants.
Il représente encore aujourd’hui 16 % des ventes malgré un prix à la pompe devenu supérieur à l’essence. Sans le favoriser, il serait judicieux de ne pas se couper de cette source de diversification dans un contexte incertain sur les plans économiques et géopolitiques.